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Interview

«Nicolas Sarkozy étend son principe de division à tout»

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Le chercheur Christian Salmon analyse le champ lexical du candidat, organisé autour de la menace :
publié le 3 mai 2012 à 21h36

Chercheur au Centre de recherche sur les arts et le langage à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), et ancien secrétaire du Parlement international des écrivains, Christian Salmon est l'auteur d'un essai très remarqué et influent, Storytelling (la Découverte). Il vient de publier Ces Histoires qui nous gouvernent (Jean-Claude Gawsewitch).

Vers la fin de sa campagne, Nicolas Sarkozy s’est mis à matraquer un mot-clé : frontière est devenu le prisme au travers duquel il s’est mis à tout regarder et commenter. Au lieu d’une histoire, comme en 2007, on a eu l’impression cette fois que c’était comme des lunettes 3D qu’il proposait aux électeurs. Quel effet spécial recherchait-il ?

Ce matraquage ne doit rien au hasard. Dans sa «Lettre au peuple français», rendue publique il y a quelques semaines, le mot «frontière» apparaît plus d'une vingtaine de fois. Il s'inscrit dans un champ lexical cohérent, toute une syntaxe de la menace, du danger extérieur, de l'invasion : «Protection, mondialisation, territoire, immigration…» qui sont les pierres de touche d'une conception de l'identité définie tout à la fois à partir de ses «racines», d'une «religion» et d'un mode de vie. La frontière sarkozyste sépare les villes et les campagnes, les centres-ville et les banlieues, les musulmans d'apparence et les chrétiens de souche, la majorité silencieuse et les minorités visibles, les vrais travailleurs et les assistés. Ce dispositif discursif ne produit pas des repères, c'est une machine à fabriquer de la frontière. C'est un prisme réducteur qui ignore la dimension du «partage» et du «passage», le double bord de la frontière.

En 2007, Sarkozy présentait un récit qui se voulait normatif, prescriptif, («travailler plus pour gagner plus»), une biographie («j'ai changé») qui se