Il y a maintenant plus d'un demi-siècle, René Rémond publiait son livre célébrissime sur la Droite en France, constamment réédité depuis, et qui proposait une interprétation puissamment novatrice de l'histoire des droites françaises. Bizarrement, il n'avait pas son pendant à gauche. Si la littérature portant sur les gauches françaises était plus que prolifique, aucun auteur n'était parvenu à élaborer une théorie explicative d'une ampleur comparable à celle de René Rémond. C'est maintenant fait. Le livre que publie Jacques Julliard sous le titre les Gauches françaises (1) est un grand livre, bouillonnant d'idées, de thèses, d'interprétations, un livre d'une érudition époustouflante et d'une grande ambition, bénéficiant de surcroît d'une plume que l'on sait d'une verve toute gasconne. Julliard qui fut l'intellectuel organique en chef de feu la «deuxième gauche» a écrit le livre de sa vie.
Il proclame d'entrée de jeu quelques partis pris. Son histoire des gauches commence au XVIIIe siècle, car c'est alors que sont apparus ses concepts fondateurs, notamment sous l'influence de Condorcet. Elle fait constamment et délibérément une place décisive aux grands auteurs, jusqu'à privilégier une approche plus culturelle qu'événementielle. Elle choisit d'ailleurs de distinguer les «moments forts» de l'histoire des gauches : moment libéral sous la monarchie censitaire, moment républicain (1848-1898), moment radical (1898-1914), grand schisme de l'entre-