«Cette tragédie personnelle est aussi la tragédie de toute la gauche.» La mort de Pierre Bérégovoy, les raisons de son acte n'appartiennent qu'à lui. Mais Jean-Pierre Chevènement, d'une phrase, lui a donné sa vraie dimension : celle d'une aventure tragique où sont mêlés l'individuel et le collectif, d'une aventure naufragée dans le désaveu infligé par le pays à dix années de pouvoir socialiste et qui se serait achevée par un double suicide. Car Bérégovoy a incarné, plus que tout autre, le nœud de contradictions qui, serré au fil des années par ses amis et lui-même, a fini par étouffer la gauche. Par ses origines et l'œuvre accomplie, par son militantisme ouvrier et sa gestion des finances publiques, par son ambition d'abattre la corruption.
C’est cette gauche qui, en juin 1982 et mars 1983, a démoli d’un coup, pour s’adapter aux réalités économiques et durer, l’idéologie du discours qui l’avait portée au pouvoir. Cette gauche qui a abandonné, en neuf mois, sa prétention à une singularité du socialisme français, à un modèle dont l’originalité et la réussite annoncée devaient être si éclatantes qu’elles seraient destinées à devenir le phare de toutes les autres «expériences», le creuset d’une réconciliation enfin réussie entre un «vrai» socialisme et la liberté. Bérégovoy en était, il y a cru, il en a rêvé. Puis il s’est adapté après avoir bataillé jusqu’à l’extrême limite, jusqu’à ce qu’il faille renoncer, en mars 1983, à l’idée d’une sortie du système monétaire europ