Vendredi 30 avril 1993, Hôtel de Matignon, 17 h 30. Même le combiné du téléphone, qu'il repose lentement, lui semble trop lourd. Baigné par la lumière rasante de cette fin d'après-midi, Pierre Bérégovoy tente, dans l'attente de son prochain rendez-vous, de se calmer par des exercices respiratoires. Depuis des mois et l'apparition des premiers ragots sur son prêt immobilier, la scène se répète de plus en plus souvent. Il regrette d'avoir accepté cet épuisant aller-retour, ce matin, pour assister au conseil municipal de Nevers, dont il est le maire, d'autant qu'il doit y retourner dès le lendemain pour la célébration du 1er mai. «Reste dormir…», a insisté Gilberte. Mais Pierre a trop de travail, comme toujours, pour s'octroyer une poignée d'heures oisives. Ce matin, il a rarement piqué une telle colère, il a bien vu que les élus nivernais, tous ses vieux compagnons, se sont étonnés d'une telle violence. Le motif en valait-il la peine ? La charge de cet abruti de droite lui reprochant de créer des espaces verts dans un quartier populaire méritait-elle une telle houle de rage ? Bien sûr que non. Mais écouter ce petit-bourgeois a réveillé, encore une fois, l'ouvrier qu'il est resté, si loin du fortuné que Paris Match a récemment dépeint, si loin, si loin de toutes ces calomnies qui se déversent depuis l'été dernier.
Alors oui, le Premier ministre a rugi tout en pensant au tiroir droit de son bureau à Matignon, qu'il ouvre maintenant avec une petite clé