Au soir de sa vie, Philippe Dechartre aimait à raconter toujours la même anecdote autour d'une bonne table que cet amateur de bonne chère appréciait malgré les interdictions de ses médecins et la tendre vigilance de son épouse. Printemps 43. Gare de Lyon Part-Dieu. Sur le quai, la loco crache encore des jets de vapeurs. Depuis 42, Lyon n'est plus zone libre. Deux hommes ont rendez vous sur là sur le quai. Sans se connaître. Une scène que toute droite sortie du film de Melville L'armée des ombres. «Morland ?» interroge le jeune résistant. «Oui, c'est moi !», répond le contact que Dechartre était chargé de réceptionner. Le franc-maçon Dechartre vient de faire connaissance avec l'élève des frères maristes du 120 rue de Vaugirard, François Mitterrand, pseudo «capitaine Morland» dans la résistance . A 95 ans, ce dernier représentant des gaullistes de gauche, né en 1919 à Truong-Thy en Indochine, vient de s'éteindre.
Trois fois secrétaire d'Etat
Malgré cette rencontre à haut risque en pleine guerre, Philippe Dechartre ne fera jamais partie des intimes du futur président socialiste de la République. Mais, au nom des fidélités nées dans les heures sombres, François Mitterrand avait toujours gardé cet homme longiligne, à l'élégance toute britannique, dans un des cercles de fidèles, plus ou moins proches qu'il avait su se constituer. «Sans doute a-t-il pensé que je pouvais peut-être lui être utile», souriait-il dans sa barbe, un verre de grand cru bordelais en main, sans aucune illusion