Il ne faudrait jamais croiser ses héros de jeunesse. Et Daniel Cohn-Bendit, frais retraité de Bruxelles, ne fait pas exception à la règle. Bien au contraire. Ces figures de référence et d’irrévérence, il faut les laisser vivre au loin, entre rêverie molle et imagerie impie, en voisins éclairants, en compagnons fantasmés, en modèles moqués, en se gardant bien de se frotter à leur humaine nature.
En 1980, Sartre a le bon goût de mourir avant de décevoir l’étudiant en philo que je suis. Le vieil homme aveugle et mis en coupe religieuse réglée par Benny Lévy aurait pu décevoir le refuznik métaphysique en voie de conversion au matérialisme hédoniste et au réalisme magique.
En 1990, Bernard Moitessier est déjà malade quand je le rencontre loin des atolls polynésiens. Le marin féerique va bientôt achever sa longue route et il n’est plus vraiment de ce monde s’il en fut jamais. Mais, entre thé fumant et tabac roulé, percent encore les dernières lueurs affaiblies d’un esprit vagabond. Pourtant, je ne prendrai pas le large à sa suite, préférant à l’aventure, les régates orgueilleuses et les bras de fer en bord de mer.
Dany-le-rouge fut longtemps un idéal à imiter, un provocateur à singer, un contestataire à égaler, une décontraction à mimer, une jobardise à laisser exulter. Arrivé à Paris dix ans après Mai, mes études se sont faites en quelques Sorbonne assez bouffonnes afin que la bourlingue me ramène invariablement au cœur du quartier Latin. Benêt à longues boucles, j’espérais entendre