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«Ils ont tué Jaurès !»

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Il y a un siècle, le 31 juillet 1914, le fondateur du socialisme français était assassiné. Pourtant, par ses écrits, par son verbe, par sa philosophie, par son message à la gauche, il est toujours vivant.
Un buste de Jaurès, photographié le 31 juillet à l'occasion du centenaire de son assassinat, dans le IIe arrondissement de Paris. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 30 juillet 2014 à 19h56

Au café du Croissant, ce soir-là, un simple rideau le protégeait de la rue. Un fragile pan de toile pour arrêter la haine… Le 31 juillet 1914, insouciante au cœur de l'été, l'Europe roulait vers l'abîme. Déclenchée par un lointain attentat dans les Balkans, la mécanique infernale des alliances conduisait inexorablement à la déflagration. Anxieux, ardent, infatigable, Jean Jaurès méditait un article solennel, une sorte de «J'accuse» qui aurait dénoncé les fauteurs de guerre à l'opinion. Avant de dicter, il était descendu dîner avec ses amis de l'Humanité, Renaudel, Landrieu, Longuet, Poisson et sa femme, d'autres encore. Longuet voulait aller au Coq d'or : il se méfiait du café du Croissant, leur bistrot habituel où on avait vu des Camelots du roi. Mais Jaurès trouvait le Coq d'or trop bruyant ; on alla s'attabler au café du Croissant. Jaurès s'assit entre Landrieu et Renaudel, adossé à la fenêtre ouverte, seulement séparé de la rue Montmartre par un brise-bise de toile que Renaudel avait tiré pour le masquer aux passants. Il faisait chaud, on avait laissé les fenêtres ouvertes, les Parisiens déambulaient la veste sur l'épaule, les femmes étaient en corsage, la nuit tombait doucement sur Paris engourdi par l'été (1).

Depuis plusieurs semaines, les articles haineux essaimaient. «Jaurès, c'est l'Allemagne», avait écrit Charles Maurras dans l'Action française. Critias, un de ses lieutenants, était plus explicite : «Nous ne voudrions déterminer perso