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Interview

Julie Pagis: «En 1968, à défaut d’avoir réussi à "changer la vie", ils ont changé leurs vies»

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Au cours d’une longue enquête de terrain, la sociologue Julie Pagis s’est intéressée aux oubliés de Mai 68, ces «anonymes» qui ont fait la révolution et qui en ont été profondément transformés.
publié le 5 décembre 2014 à 17h46

De Mai 68, tout semble avoir été dit, analysé, commenté. Par les acteurs eux-mêmes, les plus médiatiques d'entre eux, de Daniel Cohn-Bendit à Serge July. Mais à côté de cette épopée officielle, il y a tous les autres, étudiants, militants, lycéens qui ont participé aux événements sans prendre la lumière. C'est à «cette contre-histoire des anonymes de 68» que s'est attaquée la sociologue Julie Pagis, chercheure au CNRS (1).

Elle-même fille de soixante-huitard, elle déconstruit, dans Mai 68, un pavé dans leur histoire, le mythe d'une génération à qui tout aurait réussi. S'appuyant sur une longue enquête de terrain menée auprès de 170 familles (les parents ont participé à Mai 68 et ont scolarisé leurs enfants dans deux écoles publiques expérimentales), elle montre comment la révolution de Mai a transformé, voire abîmé, les trajectoires individuelles jusqu'au plus intime de la vie. En somme, comment rester fidèle à un idéal qui n'est jamais advenu ?

Pourquoi s’intéresser aux anonymes de 68 ?

Je tenais à retrouver des «anonymes» qui avaient participé à Mai 68 et qui n’avaient pas pris la plume ou le micro pour parler d’eux depuis. L’enjeu était de taille, car la mémoire de Mai 68 a justement été largement construite (confisquée) par une poignée de porte-parole autoproclamés, qui ont fait de leur devenir singulier et non représentatif l’histoire d’une soi-disant «génération 68».

Or j’étais persuadée que cette représentation, médiatiquement véhiculée, d’une génération qui serait opportuniste, bien reconvertie