De Mai 68, tout semble avoir été dit, analysé, commenté. Par les acteurs eux-mêmes, les plus médiatiques d'entre eux, de Daniel Cohn-Bendit à Serge July. Mais à côté de cette épopée officielle, il y a tous les autres, étudiants, militants, lycéens qui ont participé aux événements sans prendre la lumière. C'est à «cette contre-histoire des anonymes de 68» que s'est attaquée la sociologue Julie Pagis, chercheure au CNRS (1).
Elle-même fille de soixante-huitard, elle déconstruit, dans Mai 68, un pavé dans leur histoire, le mythe d'une génération à qui tout aurait réussi. S'appuyant sur une longue enquête de terrain menée auprès de 170 familles (les parents ont participé à Mai 68 et ont scolarisé leurs enfants dans deux écoles publiques expérimentales), elle montre comment la révolution de Mai a transformé, voire abîmé, les trajectoires individuelles jusqu'au plus intime de la vie. En somme, comment rester fidèle à un idéal qui n'est jamais advenu ?
Pourquoi s’intéresser aux anonymes de 68 ?
Je tenais à retrouver des «anonymes» qui avaient participé à Mai 68 et qui n’avaient pas pris la plume ou le micro pour parler d’eux depuis. L’enjeu était de taille, car la mémoire de Mai 68 a justement été largement construite (confisquée) par une poignée de porte-parole autoproclamés, qui ont fait de leur devenir singulier et non représentatif l’histoire d’une soi-disant «génération 68».
Or j’étais persuadée que cette représentation, médiatiquement véhiculée, d’une génération qui serait opportuniste, bien reconvertie