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Analyse

Avec Syriza, le FN s’invente un mariage contre-nature

Pas à une contradiction près, le parti d’extrême droite instrumentalise la montée de la gauche radicale dans le sud de l’Europe.
Le parti mené par Aléxis Tsípras, proche du Front de gauche, est en bonne position pour remporter les prochaines législatives grecques. (Photo Laurent Troude)
publié le 6 janvier 2015 à 19h56

De la bonne grosse récup. Depuis l'annonce des législatives anticipées en Grèce, des dirigeants du Front national se répandent dans les médias avec un nouveau futur champion : les Grecs de Syriza, alliés en France au… Front de gauche. La présidente du FN, Marine Le Pen, a d'abord salué la «victoire du peuple» lorsque le Parlement grec n'a pu s'entendre sur un candidat pour la présidence de la République.

Son fidèle lieutenant, Florian Philippot, a ensuite renchéri : «Si le grand débat en Europe […] doit passer par la victoire de Syriza en Grèce, alors oui, je souhaite vivement la victoire de Syriza.» Le député européen trouve également «très intéressant» un autre parti de la gauche radicale européenne : les Espagnols de Podemos. Des paroles contre-nature : au Parlement européen, les sept députés grecs de Syriza et le leader de Podemos, Pablo Iglesias, siègent à l'autre extrémité de l'Hémicycle par rapport à Philippot et Le Pen : au sein du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE), dont font aussi partie les eurodéputés Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon en tête.

Loin. «C'est une opération de manipulation grossière, une arnaque politique du Front national pour tenter de s'attribuer le succès de Syriza en Grèce», dénonce à Libération Pierre Laurent, patron des communistes français et président du Parti de la gauche européenne (PGE), une confédération de partis dont l'un des vice-présidents est… Aléxis Tsípras, leader de Syriza. Voir le FN soutenir un parti grec ou espagnol qui lui-même est allié aux communistes français, c'est vraiment une première…

«Ils veulent faire oublier qu'il n'y a pas si longtemps, en 2011, ils soutenaient le parti Laos [«Alarme populaire orthodoxe», ndlr], dont deux députés avaient été nommés ministres dans un gouvernement d'union nationale dirigé par les socialistes du Pasok, rappelle Alexis Corbière, du Parti de gauche. Parmi ces ministres, on trouvait Makis Voridis, avocat très proche de Jean-Marie Le Pen et "ami" de plusieurs membres du comité central du FN.» «Le FN a toujours été étranger à la montée populaire de Syriza, dont les combats sont à l'opposé de l'extrême droite française», poursuit Laurent.

En effet, si le FN n'a jamais soutenu Aube dorée, le parti néonazi grec, on voit mal ses partisans acquiescer à nombre de dispositions du programme de Syriza. Il prévoit la «facilitation du regroupement familial», la «naturalisation des immigrés et de leurs enfants», la «suppression de toute limitation à l'accès à la santé publique et à l'éducation pour les migrants». On est très loin de la préférence nationale, de la suppression de l'aide médicale d'Etat pour les sans-papiers ou encore de la récente proposition de Marine Le Pen de «rapatriement systématique des navires vers les pays d'origine, et non de destination».

Idem sur les questions européennes : lorsque le FN évoque une sortie de l'euro voire de l'UE, «Syriza a toujours prôné une sortie solidaire et européenne de la crise», rappelle Laurent. Et Tsípras reste attaché à l'euro pour la Grèce. «Syriza reste une force internationaliste et non nationaliste comme le FN», ajoute Anne Sabourin, représentante du PCF au PGE.

Au FN, on défend ce copinage de circonstance où «les ennemis de mes ennemis» - en l'occurrence l'Union européenne, sa Commission et Angela Merkel - deviennent des «alliés de circonstance». «Syriza n'est pas un allié ni un parti partenaire. Nous sommes en total désaccord avec son programme, explique Bruno Gollnisch, tenant aujourd'hui de l'aile la plus à droite du FN. Mais tout ce qui contribue à l'expression d'une contestation du système européen tel qu'il fonctionne, qui condamne les peuples à l'austérité, les emprisonne dans le carcan de sa politique mondialiste et les conduit à la ruine, concourt au débat pour dire non à cette Union.»

«Coups de bélier». «L'intérêt est que le débat sur l'Union ou l'euro existe. Ce sont autant de coups de bélier dans la porte de l'Union européenne que nous combattons depuis toujours», indique Florian Philippot à Libération. Le tenant de la ligne nationale-républicaine du Front estime que «la victoire de Syriza ne sera ni celle de Jean-Luc Mélenchon, ni celle de Marine Le Pen mais bien l'échec de la Commission européenne».

Le vice-président du FN se rattrape aux branches : lors du bureau politique du FN, lundi, les membres de la direction du parti se sont livré à une petite explication de texte. Soutenir les alliés des communistes, ce n’est pas franchement la tasse de thé des cadres d’un parti qui brandit, depuis sa création en 1972, la préférence nationale en étendard.

Lire aussi pages 16-17 et 23