Chaque vendredi, le gardien de la mosquée, Moussa Traoré, ancien éboueur de la Ville de Paris, étend les tapis à l'extérieur. L'ancien gymnase du quartier des Courtillières à Pantin, transformé en lieu de culte depuis 2009, est trop exigu pour accueillir le millier de fidèles qui s'y pressent pour la grande prière. Vêtues le plus souvent de longs voiles, les femmes ont, elles, un espace réservé au sein de la salle. Derrière une palissade en bois, elles ne peuvent être vues des hommes, ni les voir. «Nous, ce que nous voulons, c'est juste être de bons musulmans ; nous voulons faire notre prière et vivre tranquillement», lâche Moussa quand on lui parle de l'attentat contre Charlie Hebdo. Chez lui, il y a surtout une grande incompréhension. «Je ne sais pas pourquoi ils font cela», dit-il à propos des auteurs de l'attentat.
Rentrant juste du pays, Hocine, d'origine algérienne, apporte plusieurs paquets de madeleines qu'il laisse à l'entrée. «C'est pour les nécessiteux», dit-il. «Ils nous volent l'islam», martèle-t-il, retenant à peine ces larmes lorsqu'il est question de l'attentat. La foule de fidèles devient de plus en plus compacte. Beaucoup de jeunes portent de longues barbes et des qamis au-dessus de la cheville, un look typique des salafistes. Un certain embarras flotte dans l'air. Certains fidèles fuient, ne veulent pas répondre. Devant la caméra d'une télévision étrangère, un homme s'emporte. «Les journalistes, eux aussi, franchissent la ligne rouge», dit-il.
L'heure est grave. Le maire PS de Pantin, Bertrand Kern, a tenu à venir s'exprimer devant la communauté musulmane de sa ville avant la grande prière. «A Pantin, nous allons l'habitude de vivre ensemble et nous n'avons pas peur des uns et des autres», déclare-t-il. Il encourage les musulmans à manifester leur citoyenneté et à rejoindre massivement le rassemblement républicain de dimanche.
«Manifester est contraire aux préceptes de la religion»
Dans son prêche, l'imam Ibrahim Abou Talha, d'origine malienne, reste plus évasif. Devant une assemblée qui comporte beaucoup de jeunes salafistes, il marche sur des œufs, ne prononce pas le nom de Charlie Hebdo, ni ne parle d'attentat, mais il met en cause la presse qui déforme l'islam. «Si les gens vous témoignent de l'inimitié, il n'y a pas à s'étonner de cela. Car l'islam que propagent les médias n'est pas celui du prophète, dit-il. Sauf pour ceux qui parmi eux auront fait preuve de justice et de recul dans ces situations […] Les gens doivent montrer ce qu'est le véritable islam et se comporter comme le faisait le prophète et ne pas répondre aux provocations, ni à l'injustice», déclare-t-il. Il donne en modèle le fondateur de l'islam qui n'a pas répondu, dit-il, aux «violences qui lui étaient faites».
Après la prière, sur le trottoir devant la mosquée, un petit groupe de jeunes salafistes approuve les propos de l'imam. «Il est toujours dans le vrai», dit l'un d'eux. Pour ces jeunes-là, il n'est pas question d'aller manifester dimanche. «C'est contraire aux préceptes de la religion», lâche Kevin, se référant aux prescriptions d'un islam très fondamentaliste. A quelques mètres de là, Yacine explique, lui aussi, qu'il n'ira pas non plus. Pour d'autres raisons. De son point de vue, les faits de l'attentat contre Charlie Hebdo sont manipulés. «Tout cela est plus compliqué que cela en a l'air», lâche-t-il. Mais sans vouloir en dire davantage.