Heureusement, Nicolas Dupont-Aignan a fait un flop. Mais sa demande de proclamer l'état d'urgence et de réinstaurer les contrôles aux frontières après l'attentat contre Charlie Hebdo a ravivé le spectre d'éventuelles procédures d'exception, sur le modèle du Patriot Act adopté aux Etats-Unis un mois et demi après le 11-Septembre. A l'époque, la gauche s'était élevée contre cette loi antiterroriste qui piétinait les libertés publiques, permettant, entre autres, les écoutes téléphoniques et les perquisitions sans autorisation préalable. Et conduisant, in fine, à la création du camp de Guantanamo.
Manuel Valls a évoqué un renforcement de l'arsenal législatif dès vendredi matin devant les préfets réunis au ministère de l'Intérieur où ils ont suivi en direct l'opération contre les frères Kouachi puis Amedy Coulibaly. «Il faudra sans doute de nouvelles mesures pour répondre au terrorisme», a déclaré le Premier ministre, avant de passer le reste de la journée à rétropédaler.
«Il faut agir de manière impitoyable […] mais ne pas inventer de nouvelles mesures parce qu'il y a eu ces actes», a-t-il ainsi expliqué dans la soirée. Depuis qu'elle est au pouvoir, la gauche a déjà adopté deux lois relatives à la lutte contre le terrorisme. La dernière, votée mi-novembre, créé un «délit d'entreprise terroriste individuelle», autorise les interdictions de sortie du territoire pour enrayer les vocations djihadistes et permet le blocage des sites internet liés au terrorisme. Mais les décrets d'application n'ont pas encore été publiés, ce que la droite s'est fait un plaisir de dénoncer dès le lendemain de la fusillade contre Charlie. «Nous allons faire en sorte qu'ils sortent le plus vite possible», a assuré Manuel Valls vendredi après sa rencontre avec l'équipe de l'hebdomadaire, installée à Libération.
«La réponse elle est policière, judiciaire mais aussi profondément politique», a fait valoir le chef du gouvernement. «Il ne faut pas partir de l'idée que rien ne peut bouger mais il ne faut surtout pas improviser», souligne-t-on à Matignon où on évoque plus un «retour d'expérience» après les événements des derniers jours. Dès lundi, le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, recevra les présidents des groupes parlementaires, au lendemain d'une réunion avec ses homologues européens place Beauvau. Mardi, il doit être auditionné dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire sur les filières jihadistes dont le président, l'UMP Eric Ciotti, réclame la création de «centres de rétention fermés» pour les terroristes.
L'exécutif a d'ores et déjà annoncé la création de 500 postes supplémentaires pour le renseignement intérieur, dont l'organisation doit faire l'objet d'une nouvelle loi programmée au troisième trimestre 2015 selon «l'agenda des réformes» du gouvernement.
Mais devant la surenchère de propositions venant de la droite, certains à gauche bétonnent les digues, pour qu'il soit impossible de profiter d'un crime, aussi odieux soit-il, pour restreindre la liberté dont Charlie Hebdo se réclame. «Ce n'est pas par des lois et des juridictions d'exception qu'on défend la liberté contre ses ennemis», a prévenu Robert Badinter, dans Libération, jeudi. «La loi, c'est le temps long pas l'émotion, insiste un député. On sera très vigilants pour qu'ils ne nous refassent pas le coup des ringards passéistes contre la gauche moderne.»