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Libération

A Vendôme, émoi après des tirs sur une mosquée

La mairie et des responsables musulmans jouent l’apaisement dans cette «ville sans racisme».
Vendôme, le 13 Janvier, à la mosquée Tawba prise pour cible par des tirs, le 9 janvier. (Photo Albert FACELLY)
publié le 13 janvier 2015 à 19h56

Ce sont des faits, qui ne font certes pas de victimes mais qui se passent un peu partout en France. En silence. Deux petits coups de feu tirés en pleine nuit sur la vitrine d'un tabac-presse de Vendôme (Loir-et-Cher). La rumeur dit qu'une affiche «Je suis Charlie» y était accrochée. «Tout le monde a été choqué en allant acheter son journal le lendemain matin», raconte Pascal Brindeau, le maire de cette ville de 17 000 habitants nichée entre Le Mans et Blois, qui sur sa page Facebook a exprimé son soutien «au commerçant» et «à la communauté musulmane». Car la même nuit, à quelques minutes d'écart, une seconde détonation a éclaté à l'autre bout de la ville : trois autres coups de feu, vraisemblablement tirés avec un fusil de chasse, cette fois sur les portes et la gouttière de la mosquée Tawba. «Pour l'instant, on ne sait pas si les deux faits sont liés, indique la procureure de Blois, Dominique Puechmaille. L'enquête est en cours, mais il n'y a pas grand-chose à en dire. Et puis le contexte est une raison de plus pour communiquer le moins possible.»

Le contexte, c'est la recrudescence des actes perpétrés à l'encontre des musulmans et de leurs lieux de culte depuis l'assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, le 7 janvier.

Lundi, l'Observatoire contre l'islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM) reprenait les chiffres du ministère de l'Intérieur : une cinquantaine d'actes et de menaces islamophobes en cinq jours. On aurait donc pu aller à Soissons, où cinq coups de feu ont été tirés ; à Aix-les-Bains, où une partie de la mosquée historique a été incendiée ; à Corte, où une tête de porc a été déposée à l'entrée d'une salle de prière. On a choisi Vendôme, ses églises du XVe siècle et ses deux mosquées du XXe. «Ici, c'est une ville sans histoires, sans racisme, raconte un cafetier du centre-ville. Pas de bandes, pas de mecs bizarres. Tout le monde a été surpris.» Le patron dit avoir tous types de clients, «y compris des Turcs, bien établis». «Il y en a qui profitent des événements pour s'amuser», estime une cliente.

Tête de porc. Très vite, on glisse le nom du quartier des Rottes. «Le quartier le plus vulnérable», selon une mamie du centre-ville. On y trouve de courtes barres HLM et un café algérien enfumé, mais aussi le tabac vandalisé et une mosquée gérée par une association culturelle turque, gardée par un imam souriant timidement, formé en Egypte et ne parlant pas français. Cette mosquée toute blanche, construite dans les années 90, qui a été taguée en 2012 puis en 2013, a ce coup-ci été épargnée. «Une fois, ils ont même laissé une tête de porc, raconte Hikmet Afyon, vice-président de l'association culturelle turque, arrivé en France en 1973 pour travailler dans le bâtiment. On a porté plainte, mais personne n'a été arrêté.»

Construite dans une ancienne tannerie le long d'une triste nationale, la mosquée qui a été attaquée accueille plutôt les Maghrébins de la ville, même s'il leur arrive d'aller à la mosquée turque plus proche de chez eux. Il faut traverser les zones pavillonnaires pour s'y rendre. La porte est bloquée par un plot de chantier public. Les trous causés par les balles ont été vaguement colmatés, mais l'assurance refuse de prendre en charge les dégâts. Une ampoule pendouille dans l'escalier. «On paye tout bénévolement, les charges, l'électricité et les travaux», explique Tahar Chaabi, président de l'association gestionnaire, qui tient une épicerie aux Rottes et préfère le mot «citoyens» à celui de «communauté».

«Aucun reproche». A l'étage, il y a les salles de l'école coranique et la salle de prière pour les femmes. Deux adolescents et sept hommes arrivent au compte-gouttes. Il est 13 h 12 et la deuxième prière du jour débute. Le vendredi, jusqu'à 150 personnes y participent, «dont une majorité de jeunes Français, souvent convertis», selon Tahar Chaabi. «On n'a jamais eu aucun reproche ici, ajoute-t-il, encore choqué. On ne comprend pas pourquoi ils tirent à la fois sur la mosquée et sur Charlie. Ceux qui ont fait les attentats nous ont fait beaucoup de mal», ajoute-t-il, insistant sur «le vrai islam» et sur la nécessité «d'ouvrir la mosquée à tous».

Le lendemain de l'attaque de Charlie Hebdo, des mères n'ont pas laissé leurs enfants aller à la mosquée par crainte d'un attentat. Si l'attaque de la mosquée est «un acte isolé» pour le maire de Vendôme, elle a beaucoup choqué non seulement ses habitués, le millier de musulmans de Vendôme, mais aussi de nombreux habitants pour lesquels «ils ne posent pas de problèmes». Un fidèle commente à la sortie de la prière : «Il faut protéger les mosquées, comme les synagogues.» «On est en train de réveiller les vieux démons, il faut les calmer», résume l'imam Fasihidine, qui prêche à la mosquée Tawba depuis 2002. Ça prendra combien de temps ? Deux semaines, deux ans ?» Originaire des Comores et formé en Afrique du Sud, le religieux à l'air bonhomme reste critique envers les caricaturistes, mais a participé, samedi dernier, à un rassemblement d'hommage à Charlie Hebdo avec le maire et le curé.

A Vendôme, l'église prête ses locaux pour des brocantes organisées par les musulmans, la mosquée accueille des repas de fête avec les voisins. Les deux cimetières de la ville comptent un carré musulman. Depuis les dernières élections, le conseil municipal compte plusieurs élus maghrébins. «On n'a rien à cacher», répètent Tahar Chaabi et l'imam Fasihidine, qui voudraient rencontrer plus de journalistes, et aimeraient que l'Etat forme des imams «pour éviter les gens de l'étranger». Dans le quartier des Rottes, quatre femmes voilées partent chercher les enfants à l'école. «Après tout ça, on essaie de rester neutre», dit l'une d'elles, l'air mal à l'aise. Quand elle parle du passé précédant le 7 janvier, elle dit : «Déjà avant, quand les gens avaient des réflexions à nous faire, ils nous les disaient directement…»