Menu
Libération

L’homme de la Nation

publié le 14 janvier 2015 à 19h36

François Hollande a été élu officiellement au palais de l'Elysée le 6 mai 2012. Il est devenu réellement président de la République le 14 janvier 2014, lorsqu'il a enfin défini et assumé sa propre politique à l'occasion de sa conférence de presse la plus marquante. Il est regardé, pleinement pour la première fois, comme le chef de l'Etat par les Français depuis le 11 janvier 2015. Avec ce dimanche, qui marquera les mémoires de citoyens et se taillera une place dans l'histoire du peuple français, le septième président de notre République a véritablement revêtu les habits de celui que le général de Gaulle avait appelé «l'homme de la Nation», choisi par celle-ci pour «répondre de son destin». François Hollande a publiquement changé de dimension à l'épreuve du drame de Charlie Hebdo et de la tragédie du supermarché casher.

Ce n'est pas seulement l'effet collatéral d'une épreuve, d'une réplique, d'un moment exceptionnel. C'est aussi un fait politique nouveau. La France a derechef le sentiment d'avoir, à sa tête, un homme «en charge de l'essentiel» pour citer une fois de plus le fondateur de la Ve République.

Durant cette séquence terrible s'achevant par un sursaut populaire prodigieux, François Hollande s'est constamment montré à la hauteur de la situation. Comme l'a relevé sobrement Nicolas Sarkozy, «il a fait ce qu'il fallait faire». Il a réagi avec promptitude et sang-froid, avec sensibilité et fermeté. Il a su trouver les mots qui touchent et qui frappent, lui qui avait été si souvent malheureux et frustrant dans son expression publique depuis le début de son quinquennat. Il a été présent là où il devait l'être et au lieu d'avoir l'air comme constamment décalé selon son habitude, il a au contraire su incarner l'autorité de l'Etat et symbolisé la Nation. Il a invité, reçu, écouté, convié, représenté et par-dessus tout décidé. Avec gravité mais sans posture, avec le souci du rassemblement, mais sans tentative de récupération. On a trouvé un président.

Un miracle n’arrivant jamais seul, le gouvernement tout entier est apparu cohérent et déterminé, un précédent sous ce quinquennat. Manuel Valls, qui a choisi depuis 2012 la figure de la fermeté républicaine, était parfaitement à sa place, complémentaire, présent, actif et néanmoins soucieux de ne pas brouiller l’image présidentielle en train de naître. Bernard Cazeneuve, Jean-Yves Le Drian ont rempli leurs fonctions avec un professionnalisme imperturbable. Touchés par la grâce, les autres membres du gouvernement ont su se faire discrets et ont omis de se contredire. La France était blessée et meurtrie, mais présidée et gouvernée. La dramaturgie du moment y poussait, certes, mais l’Exécutif tout entier a su tenir sa place. Le peuple s’est mobilisé, et ses dirigeants ont fait leur devoir. Cela s’est vu.

On est loin, on est aux antipodes du suicide français, du déclin français, du renoncement français, de l’effacement français, du défaitisme français. Le 11 janvier 2015 restera le jour anniversaire du réflexe républicain mais aussi celui de la grande réfutation des thèses déclinistes et populistes. Marine Le Pen a trébuché lourdement pour la première fois. Bien sûr, les tensions, voire les antagonismes entre communautés ne vont pas disparaître pour autant, bien au contraire. L’insécurité, la xénophobie, le nationalisme, le poujadisme, de gauche, ou de droite, ne vont pas subitement se dissoudre. Les calculs politiciens vont immanquablement réapparaître, et polluer de nouveau le climat. Le rapport des forces n’est pas bouleversé, deux échéances électorales cruelles et un congrès qui s’annoncent dignes de la SFIO le prouveront.

La majorité reste minoritaire, l’opposition reste majoritaire, le Président reste impopulaire, la situation économique et sociale reste précaire. Le sursaut républicain, le réflexe démocratique ne signifie pas la fin de la crise. Le 11 janvier marque un réveil, pas une guérison.

Tout reste semblable et cependant tout paraît différent. Le pire n’est plus sûr. La France n’est pas sortie de l’Histoire, comme s’en lamentaient les pleureuses. Des dizaines de chefs d’Etats et de gouvernements manifestant côte à côte, une première soulignée par tous les médias de la Terre, prouvent que la France parle toujours au Monde. Il y a un président au palais de l’Elysée. Il a maintenant les moyens de peser. A lui de demeurer ce qu’il est devenu.