«C'est la troisième guerre mondiale», lâche un habitant de Woippy, commune de 13 000 âmes accolée à Metz (Moselle). Ce trentenaire cherche en vain un exemplaire de Charlie Hebdo. Il peste. Il veut de la «répression», «plus de fermeté», «les prisons sont devenues des colonies de vacances, bientôt les détenus auront cinq semaines de congés payés»… A la boulangerie, la vendeuse dit avoir «peur», elle imagine que ses clients aussi, puisqu'ils ne viennent plus. La semaine dernière, il y a eu une fusillade à Thionville, à 25 km de là, tout le monde a cru à un attentat. Un règlement de comptes, en fait. Elle essaie de ne pas y penser, comme lorsqu'elle a été braquée il y a un an, «sinon, on ne vit plus». Et dans l'isoloir ? Elle ne se projette pas aux départementales, ni aux régionales, dont elle semble découvrir l'existence quand on lui pose la question.
«Eux». Ceci dit, plus que jamais, elle est convaincue que la solution, c'est «Marine Le Pen à l'Elysée». Aucun son ne sort de sa bouche, il faut lire le nom de la patronne du FN sur ses lèvres. Elle l'articule, s'assurant que personne ne l'observe, «parce qu'ici, ils sont plus nombreux que nous». Eux, «les Arabes». «Il n'y a pas eu de crèche cette année à l'église, ni de sapin de Noël dans les écoles parce que les musulmans n'étaient pas d'accord», assure sa jeune collègue. Est-ce qu'elle est allée vérifier ? Elle le sait, c'est tout. «On a l'impression de ne plus vivre en France, poursuit l'autre. Bon, faut pas tous les mettre dans le même sac, y en a des bons et des mauvais.» Parce que même sa candidate le dit : «Faut pas faire d'amalgame.» Dans un autre commerce, le même phénomène : on parle d'un air entendu de «vous-savez-qui» qui «fera le ménage». Ceux qui clamaient leur vote Front national redeviennent pudiques. Comme s'il était déplacé d'afficher son soutien à celle qui n'a pas participé au rassemblement à Paris, préférant un entre soi à Beaucaire.
Une commerçante dont la vitrine arbore «Je suis Charlie» explique être «bien contente» que les terroristes se soient «fait descendre», «ça fait de la vermine en moins». François Hollande ? Il n'est «pas assez sévère», juge-t-elle : «Les mecs, ils vont au Yémen faire le jihad, ben faut leur dire "tu prends ta petite famille et tu te casses".» En plus, «ça fera des économies à la Sécu».
Quant à la mosquée, construite en 2007, la seule entièrement financée sur fonds publics (3 millions d'euros), «au début», elle était «contre». Puis elle a changé d'avis : «Le bâtiment n'est pas à eux, c'est à nous. Donc s'il y a le moindre problème, on peut faire une descente !» Une cliente a entendu la conversation, et lance à l'attention de la patronne : «Moi, je ne suis pas Charlie, je me suis convertie. Tu n'es pas dans l'islam, tu ne peux pas comprendre, mais le Prophète, nous, on l'aime plus que notre mère.» Elle claque la porte. La commerçante grimace, elle a fait une gaffe.
Le sénateur et maire UMP, François Grosdidier, «est Charlie» lui aussi. Dimanche 11 janvier, il marchait avec une pancarte le revendiquant. Il défend la liberté d'expression, dans la limite où elle ne s'en prend ni à lui ni aux musulmans, une grande partie de son électorat. Voilà deux ans, il a attaqué Charb qui l'avait caricaturé. Il a perdu, fait appel, perdu encore. Grosdidier n'imagine pas que l'onde de choc des attentats se traduise par une montée du Front national, dont il se targue d'avoir «enrayé la progression».
Bunker. En 1995 puis en 2002, Jean-Marie Le Pen est arrivé en tête ici, mais son score a reculé de 7 points entre les deux présidentielles. C'est que Grosdidier lui a coupé l'herbe sous le pied. Celui qui a débuté sa carrière à l'extrême droite a ravi la ville à la gauche en 2001. A l'époque, il promet de s'attaquer aux zones de non-droit. Dans le quartier Saint-Eloy, où 60% des ménages ne sont pas imposables, il a construit en 2004 un bunker que se partagent polices nationale et municipale. Cette dernière a vu ses effectifs tripler. Les agents patrouillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre en 4 × 4, gilet pare-balles, matraque, taser et pistolet. La vidéosurveillance est partout.
A entendre l'édile, «il n'y a plus de tension entre habitants» depuis la construction de la mosquée. Pour permettre son financement par la ville, c'est un «centre interculturel». En 2006, alors député, il dépose une proposition de loi pour permettre aux collectivités locales de construire des lieux de culte. Une autre pour intégrer l'islam au concordat. Aucune n'a abouti. «Le culte musulman était un sujet tabou. La loi sur la laïcité, un dogme sacré. C'est en train de changer, se réjouit Grosdidier. Permettre aux musulmans d'exercer leur culte dans des conditions dignes, c'est montrer aux musulmans que la République est juste.»
«Cela permet surtout de récolter des voix et de noyauter la communauté, la contrôler», taclent les socialistes. En 1994, l'imam de Woippy a été expulsé en urgence vers le Maroc, question de «sûreté nationale», dixit le préfet d'alors. Grosdidier milite pour «un islam de France», comme l'actuel imam Abdelkader Tedjini, qui a grandi en Lorraine. Tous deux semblent proche, partagent la même confiance. «Marine Le Pen ne me fait pas peur, les Français savent qu'elle n'est pas la solution», pense l'imam qui condamne les caricatures du Prophète, «un blasphème, une blessure».