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Libération
Interview

Jérôme Fourquet : «Il faut sans doute un délai de latence, pour que le débat politique reprenne ses droits»

Pour le sondeur Jérôme Fourquet, l’épisode des attentats n’a fait que renforcer chacun dans ses convictions :
publié le 18 janvier 2015 à 20h16

Directeur du département opinion publique à l'Ifop, Jérôme Fourquet analyse l'impact de la vague d'attentats terroristes qui a fait 17 victimes et de la grande marche républicaine qui a rassemblé près de 4 millions de Français dimanche 11 janvier. Son institut a réalisé, depuis, plusieurs études pour le Journal du dimanche et le site Atlantico sur la question.

La cote du Front national est-elle en hausse après les récentes attaques terroristes ?

Pour l’instant, non. Nous avons réalisé une enquête pour évaluer l’impact de ces attentats. La menace terroriste est jugée plus élevée que jamais, et le soutien à l’intervention en Irak est également en hausse - ce qui est le contraire de ce que voulaient les terroristes. En revanche, le pourcentage de personnes se déclarant proches du Front national n’a pas bougé entre décembre et le lendemain des attaques (13%). Les chiffres restant d’ailleurs presque les mêmes pour toutes les formations politiques. C’était un peu la même chose qu’après l’affaire Merah : tout le monde s’attendait à ce qu’elle joue en faveur de Marine Le Pen, mais celle-ci avait plutôt enregistré un petit tassement dans la dernière ligne droite.

Les attentats ont-ils renforcé la méfiance de l’opinion envers l’islam ?

Nous avons reposé une question déjà utilisée en 2012 : «Selon vous, la présence de musulmans en France est-elle plutôt une menace, un facteur d'enrichissement ou aucun des deux ?» Et ce que l'on constate, c'est un reflux de la première réponse, même si elle reste majoritaire : on passe de 43% à 40%. Tandis que la seconde progresse, passant de 17% à 25%. En clair, au-delà de ces petites variations, les attaques semblent avoir renforcé chacun dans ses convictions - poussant certains islamophobes les plus radicaux à s'en prendre à des mosquées, par exemple. Mais il n'y a pas de transfert important d'une catégorie vers l'autre. Au juste, on manque de recul sur tous ces sujets. Il faut sans doute un délai de latence pour que le débat politique reprenne ses droits. La situation est très instable et beaucoup de choses peuvent encore faire évoluer l'opinion.

Sur quels termes ce débat risque-t-il de se fixer ?

A droite, on semble parti sur un discours très ferme. Le président du groupe UMP au Sénat, Bruno Retailleau, a proposé le retour de la Marseillaise, du drapeau et de l'uniforme à l'école. L'expression qui revient sans cesse à droite, c'est : «Il faut nommer les choses.» Quant au Front national, même s'il a intégré l'économie à son discours, la question identitaire demeure toujours son moteur, et ce n'est pas près de changer. Marine Le Pen n'a pas pris la parole parce qu'elle a estimé, à juste titre, qu'elle serait inaudible dans les premiers temps après les attentats. Mais elle va désormais tenter de cultiver son pré carré. Notamment en insistant sur la proximité idéologique du PS et de l'UMP, et en affirmant que les derniers événements sont le résultat de l'exercice du pouvoir par ces deux partis.

L’unité nationale est-elle un écran de fumée ?

Dans l’opinion, cette idée est très largement perçue de manière favorable. L’idée générale, c’est de sortir de la politique politicienne. Du soutien automatique au gouvernement pour la majorité, de sa critique mécanique pour l’opposition. Bien entendu, cette idée n’est pas sans limite. Il y a d’abord la difficulté à lui donner un contenu plus précis. D’où cette question très entendue dans les manifestations comme dans les médias : et maintenant ? Ensuite, viendra un moment où la politique «routinière» reprendra ses droits. Et si l’unité nationale est possible sur les questions de sécurité intérieure, je ne suis pas convaincu qu’elle le soit en matière de politique économique, par exemple.

Il faut par ailleurs nuancer l’idée d’une «communion nationale» après les attentats. La France entière n’a pas défilé. Une bonne partie de la population musulmane s’est tenue à l’écart des rassemblements. Mais lorsque vous regardez la carte des manifestations, ou que vous rapportez l’affluence au nombre d’habitants, vous constatez une relative sous-mobilisation dans le Nord-Pas-de-Calais, en Picardie ou encore sur le littoral méditerranéen. Autant de régions où le FN est très performant. Toute une partie de la population a ainsi signifié que ce mouvement d’unité nationale n’était pas son combat.