Liberté, égalité, humilité. Après dix jours d'effroi et d'émoi, François Hollande bascule dans une nouvelle séquence, toute aussi délicate à gérer politiquement. S'il en doutait, son bain de foule, samedi à Tulle, est venu le lui confirmer : l'immense majorité des Corréziens embrassés dans la salle de l'Auzelou lui a parlé d'emploi et de crise. Mis en sourdine au nom de l'unité nationale, les questionnements sur sa ligne économique vont ressurgir. Pour le chef de l'Etat, pas question de se laisser griser par la légère embellie sondagière qui a accompagné sa gestion des événements et la réponse sécuritaire du gouvernement. Un rebond qu'il sait de courte durée. «Rien n'a changé, les problèmes sont les mêmes» , explique le Président en petit comité. Tout en reconnaissant que «tout a changé» car il n'a «jamais affronté une situation comme celle-là».
Distances. Il avait théorisé son mandat en deux temps - effort et redistribution sur le front économique et social -, le voilà contraint d'intégrer la refondation de la République pour répondre au sursaut du 11 janvier.
De retour à Paris, il entame ce lundi une nouvelle semaine de vœux tous azimuts, qui seront autant d'opportunités de passer des messages. D'abord aux «acteurs de l'entreprise et de l'emploi» qu'il reçoit lundi à l'Elysée sur fond de chômage qui ne recule toujours pas - les perspectives de l'Insee prévoient même qu'il va augmenter jusqu'à mi-2015. Mardi, ce seront les corps constitués et les bureaux des Assemblées et, mercredi, le monde éducatif avec, selon son entourage, un «grand discours sur la jeunesse», sa priorité de campagne présidentielle perdue de vue. Si le ministère de l'Education a été placé en première ligne après les attentats, en bon socialiste, Hollande promet d'intégrer à l'après-Charlie les associations et les réseaux d'éducation populaire, ceux qui travaillent pour que «chaque citoyen soit à l'égal de l'autre, respecté dans sa croyance et sa non-croyance».
Les ministres de l'Intérieur, de la Justice et de l'Education avaient, eux, huit jours pour présenter les mesures pour répondre à la fois au terrorisme mais aussi au délitement du lien républicain. Elles seront présentées mardi par Najat Vallaud-Belkacem et mercredi en Conseil des ministres. Dans le discours présidentiel, ce sont toujours les mots «fermeté» et «sécurité» qui dominent. Car «sans sécurité, aucun autre message ne peut être entendu», explique Hollande en privé, empruntant à la sémantique de Manuel Valls pour qui «la sécurité est la première des libertés». Après une semaine d'allocutions adressées aux Français juifs puis musulmans, le Président prend ses distances avec son Premier ministre pour proposer un mot d'ordre fédérateur et unique : «Je ne connais pas d'autre communauté que la communauté nationale.»
«Fierté». Pour l'exécutif, toute la difficulté consiste à trouver le bon équilibre : ne pas donner le sentiment de faire durer une phase d'émotion à des fins politiques mais ne pas passer trop vite à autre chose. Coincée entre l'injonction d'union nationale et la réponse d'une fermeté jusqu'alors inégalée à gauche, la droite cherche encore son positionnement post-crise. Pour les socialistes, qui étaient de plus en plus nombreux à se désolidariser du Président avant les fêtes, les choses ont changé : oublié le procès en amateurisme, éludée (pour l'instant) la contestation du pacte de responsabilité et de la loi Macron. «La petite musique de décembre, c'était: "On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a, ça ne sera pas le président du siècle mais on va limiter les dégâts." Là on est entré dans autre chose», souligne un parlementaire PS. «L'ambiance a changé, la gauche a retrouvé de la fierté», veut croire le député Christophe Borgel. «Le Hollande bashing, c'est terminé. L'opinion publique nous regarde» , assure de son côté le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. Par la voix de leur secrétaire nationale, Emmanuelle Cosse, les écologistes d'Europe Ecolgie-les Verts ont fait savoir que leur parti ferait «preuve de responsabilité» pour la suite. Comme si la gauche avait retrouvé son président, et le Président sa gauche. Pour combien de temps ?