Emmanuel Macron n'a pas vu le coup venir. C'est en toute bonne conscience que le ministre de l'Economie a invité à l'«ouverture d'esprit», la «transparence» et au «renoncement à la philosophie de l'économie administrée» les députés réunis en commission spéciale pour examiner son projet de loi «sur la croissance et l'emploi». Lui-même n'a-t-il pas montré patte blanche de façon singulière ? Réagissant à l'avis du Conseil d'Etat qui, début décembre, avait critiqué «le caractère lacunaire et les graves insuffisances de l'étude d'impact sur nombre de dispositions» de son texte, Macron annonçait le jour de l'ouverture des débats parlementaires avoir demandé au Commissariat général à la stratégie et à la prospective de réunir des experts indépendants pour évaluer son projet de loi. Il précisait avoir, dès décembre, sollicité une dizaine de think tanks (Terra Nova, Fondation Jean-Jaurès, Institut Montaigne, etc.) pour «alimenter un débat rationnel et rigoureux sur les différents volets de la loi».
«Bon signal». Une initiative sans précédent de nature à désamorcer les prévisibles récriminations des députés devant «l'indigence» des études d'impact fournies. Inattendue, la contre-attaque de Macron est néanmoins tardive. Trop sans doute pour que les experts puissent satisfaire les attentes des députés. «C'est un bon signal et la démarche est prometteuse, apprécie Thierry Pech pour Terra Nova. Mais nous sommes une petite structure et on a trop peu de temps.»
Au Commissariat général à la stratégie, le ton est plus optimiste : «On a réuni le 6 janvier une dizaine d'experts qui, sur la base d'expériences étrangères, vont fournir un travail analytique sur différents aspects du projet de loi, précise le commissaire général Jean Pisani-Ferry. On devrait être en mesure de fournir une série de documents susceptibles d'éclairer le débat parlementaire pour le début de la discussion du texte [à l'Assemblée], le 26 janvier.»
La réactivité d'Emmanuel Macron pourrait surtout lui valoir un sévère effet boomerang. C'est que la brèche ainsi ouverte dans la forteresse Bercy n'a pas échappé à son collègue du gouvernement, le ministre de la Simplification, Thierry Mandon. Lequel se fait aujourd'hui fort de l'exploiter : «Je me réjouis qu'un ministre, a fortiori de Bercy, demande une évaluation indépendante de l'impact de son projet de loi, applaudit Mandon, qui a découvert l'initiative d'Emmanuel Macron par le communiqué de Bercy. Mais il faut aller plus loin. Ce que Macron a demandé tardivement et de manière isolée doit être systématisé et enclenché plus tôt. Cela fait un an qu'on bosse là-dessus. Dès qu'on a le feu vert, on y va.»
Amont. Son idée : obliger tous les ministères, à commencer par Bercy, à soumettre systématiquement les projets de loi «ayant des conséquences concrètes sur la vie économique» à la contre-expertise d'un comité ad hoc indépendant, composé de responsables d'entreprises, sur le modèle du Regulatory Policy Committee britannique. «Sa mission ne serait pas de donner un avis d'opportunité sur les textes, précise Mandon, mais d'en évaluer le coût et les retombées concrètes sur les acteurs économiques. Le tout sur la base de travaux enclenchés très en amont de la discussion parlementaire.»
Autant dire une révolution pour Bercy, maison jalouse de ses prérogatives et pas vraiment habituée à souffrir la contradiction. Le couple exécutif ne s’y est pas trompé, qui jusqu’à présent traînait les pieds. François Hollande serait toutefois sur le point de se laisser convaincre. Puisque Macron lui-même a montré l’exemple…