La gauche française parle grec. En tout cas celle qui rêve d'une «alternative» à la politique de François Hollande et Manuel Valls. Prononcez le nom de «Syriza» devant Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, Cécile Duflot ou Clémentine Autain et vous verrez un large sourire s'afficher sur leurs visages. On en avait plus vu chez eux depuis 2012 et le retour de la gauche au pouvoir.
Depuis, ils ont été dégoûtés de Hollande et ont pu constater que la chute de la social-démocratie en France ne leur profitait pas. Ici, la crise fournit des bataillons à l'abstention ou au Front national… Pour réenclencher la marche avant, cette gauche française compte beaucoup sur le vent nouveau en Grèce. «Ça va mettre du meltem dans les voiles», sourit Eric Coquerel du Parti de gauche (PG). Clin d'œil au vent qui souffle sur la mer Egée. Le soutien à Syriza a déjà permis de réunir cette gauche éparpillée pour un meeting inédit, lundi au gymnase Japy dans le XIe arrondissement de Paris. Outre les traditionnels «camarades» de Syriza (les partis membres du Front de gauche, comme le PCF, le PG, Ensemble…), les écologistes, avec l'ex-ministre Cécile Duflot, et des socialistes proches de Benoît Hamon sont venus clamer leur soutien à Aléxis Tsípras.
Sincères. «Oui, la victoire de Syriza changerait la donne !» a lancé Duflot avant de reprendre sa place au premier rang entre le patron du PCF, Pierre Laurent, et Jean-Luc Mélenchon. L'eurodéputé PS Guillaume Balas (dont le parti n'est pas fan de Tsípras) voit dans cette probable victoire un moyen d'«en finir avec l'austérité en Europe». Et même si chacun d'entre-eux venait aussi pour tenir un bout de cette «unité» indispensable pour une future candidature à la présidentielle ou pour faire figurer les siens en bonne place aux régionales de la fin d'année, ces soutiens étaient sincères.
La ligne Paris-Athènes a vu pas mal de rouges et de verts ces derniers jours. Président du Parti de la gauche européenne (dont Tsípras est un des vice-présidents) depuis 2001, Pierre Laurent s'est rendu jeudi dans la capitale grecque pour le dernier meeting de Syriza. De jeunes écologistes, socialistes, communistes ou proches de Mélenchon ont tenu à être sur place avant et pendant le scrutin. Objectif : faire du succès de Syriza un «exemple», un précédent.
Mélenchon espère ainsi un «effet domino» pour les gauches radicales en Europe : d'abord la Grèce avec Syriza, ensuite l'Espagne avec Podemos, puis, «c'est ce qu'il se passera un jour à Paris», continue de croire l'ex-candidat Front de gauche à la présidentielle. Il y voit aussi la validation de sa stratégie d'autonomie, la preuve qu'il faut «rompre» avec ses ex-camarades socialistes et ne pas accepter leurs «compromis pourris» comme peuvent le faire, selon lui, les écolos ou les communistes. «J'ai connu Tsípras accepter une scission de son propre parti pour refuser d'aller gouverner» avec les sociaux-démocrates du Pasok, a-t-il rappelé lundi.
Au PCF comme chez les écologistes, on voit dans un changement en Grèce l'occasion d'«engager la refondation démocratique de l'Europe entière», a précisé Laurent sur cette même scène, et d'«offrir une nouvelle chance […] à toute l'Europe. Cette chance gâchée [par] François Hollande en 2012». «Nous voulons une autre politique en Europe comme nous voulons une autre politique en France», a poursuivi Duflot.
Pour Eric Coquerel (PG), Tsípras et les siens «vont engager le bras de fer avec la Commission européenne et cela mettra chacun devant ses responsabilités». Comprendre : au PS et à François Hollande de choisir leur camp. Celui de «Bruxelles» ou celui de la «résistance».
«Copiés-collés». Une victoire de Syriza permettra-t-elle enfin à ces forces à la gauche du PS de coaguler ? Compte tenu des spécificités françaises (système présidentiel, politique économique moins rude que dans les pays du Sud de l'Europe, forte percée de l'extrême droite), ils sont nombreux de ce côté-ci de la gauche à se méfier des «copiés-collés». Pour Duflot, Syriza les «met au défi de forger pour [eux]-mêmes et par [eux]-mêmes une voie pour l'espoir». En pratique : tous ces soutiens à Syriza ont signé cette semaine un appel afin de mettre sur pied des «chantiers d'espoir» : des «rencontres décentralisées» destinées à remobiliser un tissu militant en sommeil et à «redonner goût à la politique». Avec en tête 2017.
Mais, les soirées qui chantent en Grèce peuvent aussi déboucher sur des matins douloureux en France. Pour rappel, la victoire du non au traité constitutionnel en 2005 avait débouché sur l’échec des collectifs antilibéraux et une multiplication des candidatures à la gauche du PS lors de l’élection présidentielle de 2007. Aucune n’avait dépassé les 5%.