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Libération
Analyse

A l’Assemblée, Emmanuel Macron cherche ses voix

Les députés entament, ce lundi, l’examen du projet de loi «pour la croissance et l’activité». Contesté à gauche, il pourrait même trouver quelques soutiens à droite.
Emmanuel Macron, en octobre, à Créteil. (Photo Laurent Troude)
publié le 25 janvier 2015 à 19h26

C’est d’un ovni politique que les députés vont commencer à débattre aujourd’hui. Le projet de loi «pour la croissance et l’activité» est à l’image du ministre qui le porte, Emmanuel Macron : ambitieux et paradoxal. L’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée propulsé à Bercy a déployé toute son énergie pour accoucher de ce texte dense et protéiforme, inspiré tout à la fois par les travaux de la libérale commission Attali, dont il fut rapporteur, et par son engagement personnel au côté de François Hollande, alors candidat socialiste à la présidentielle. Au nom de la «simplification», du «pragmatisme» et de la «libération des énergies», Macron a empiété sans vergogne sur le terrain d’une dizaine d’autres ministres (Transports, Travail, Logement, Justice, Environnement…). Au risque de froisser ceux qui, à l’instar de la garde des Sceaux, Christiane Taubira, ne partageaient pas ses vues.

«Arbitrage». De cette situation, le jeune ministre a vite tiré les enseignements. Primo, il allait lui falloir associer étroitement les parlementaires à l'élaboration du projet final s'il voulait éviter un bizutage en règle à l'Assemblée nationale. Quitte, cette fois, à en rabattre. «Il ne voulait pas abandonner le statut d'avocat d'entreprise, au point que j'ai dû demander l'arbitrage de Matignon», confie Richard Ferrand, rapporteur PS de la commission spéciale de l'Assemblée sur le projet de loi. Lequel se dit aujourd'hui «très satisfait» du résultat de leur coopération active. Dans ce jeu de donnant-donnant, Ferrand a su lui aussi se montrer conciliant en acceptant plusieurs amendements susceptibles de prendre la majorité à rebrousse-poil. C'est vrai de l'inscription dans la loi du «secret des affaires», vieille revendication patronale, comme de la possibilité élargie de réduire l'ISF. A l'arrivée, un texte aussi épais (208 articles) que fourre-tout, où la gauche comme la droite peuvent trouver, ici, matière à mécontentement et, là, sujet à réjouissance.

Sauf à risquer l'embardée, Macron a compris qu'il ne pouvait abandonner à aucun de ses collègues du gouvernement le soin de défendre son projet : il a prévu de siéger en permanence durant les deux semaines d'examen dans l'hémicycle, assisté au cas par cas par les ministres potentiellement concernés par les débats. Conscient de la méfiance de la majorité à l'endroit d'un ministre peu avare de déclarations iconoclastes (sur les 35 heures, les seuils sociaux, l'«illettrisme» des salariés de Gad…) et soucieux de se garder à droite les voix qui, à gauche, pourraient au final manquer à son texte, le Président a choisi de dépolitiser le débat. Dès le 5 janvier, François Hollande en a donc minimisé la portée : «La loi Macron, c'est pas la loi du siècle.» Un message reçu cinq sur cinq à l'UMP.

Deux jours plus tard, les tueries à Charlie Hebdo et à la supérette casher ont relégué pour de bon le projet de loi dans les coulisses de l'actualité. L'unité nationale à laquelle s'est rangée la classe politique dans la foulée de la manifestation monstre du 11 janvier a convaincu les parlementaires de mettre leurs débats en sourdine. «Le contexte particulier a amené chacun à relativiser, à adopter un ton plus policé. Personne n'osera proclamer "vous assassinez le petit commerce !" par exemple», remarque un député PS. Interdits de posture, les députés se sont vengés en déposant plus de 3 000 amendements, dont une moitié par l'UMP. «Parce que le texte balaie énormément de sujets, il agite simultanément des tas de petites garnisons qui habituellement n'agissent pas ensemble», explique la députée PS Sandrine Mazetier.

Batailles. Face à ce pavé idéologiquement illisible et techniquement compliqué, les groupes politiques n'ont pas d'autre choix que le rejet en bloc ou les batailles ciblées. Le Front de gauche comme une partie des écologistes privilégient la première option. «La liberté de Macron c'est la liberté du renard libre dans un poulailler libre», dénonce le chef de file des communistes, André Chassaigne. Furieuse du détricotage amorcé de sa loi Alur (sur les ventes à la découpe ou les logements intermédiaires) comme de la volonté marquée du gouvernement de réformer par ordonnance le code de l'environnement, Cécile Duflot pilonne elle aussi un catalogue de mesures «porté depuis des années par Bercy». «Sans une très forte amélioration, on n'aura aucun complexe à voter contre», prévient le député EE-LV Jean-Louis Roumégas. Au Parti socialiste, dont le mécontentement est plus ponctuel et fragmenté, on préfère concentrer ses forces sur des sujets emblématiques : ouverture des commerces le dimanche et droit du travail. Frange la plus contestataire du PS, les frondeurs ont déposé une vingtaine d'amendements sur un projet de loi «pas votable en l'état». Mais c'est pour eux surtout l'occasion d'étaler leur scepticisme quant à l'«utilité de la loi Macron» en matière de créations d'emplois et de valoriser leurs propositions alternatives pour relancer la croissance qu'ils présentent lundi.

Décomplexée. La droite, en porte-à-faux face à ce texte dont elle approuve la philosophie générale, devrait, elle, concentrer ses tirs sur la «déréglementation non réfléchie» des professions du droit, marqueur politique choisi mi-décembre par Nicolas Sarkozy. Quand bien même, une poignée de députés UMP a annoncé son intention de le voter à l'instar d'Hervé Mariton : «Je ne vois pas pourquoi je me tordrais l'esprit à insulter aujourd'hui ce que j'ai proposé hier.» Tout aussi décomplexée, l'UDI se réjouit ouvertement des «avancées» qu'elle a obtenues en commission, notamment sur les transports ou la création de bourses de valeur dans les 13 futures régions. Surpris de «l'écoute» du ministre, les centristes attendent d'autres concessions en séance sur quelques «points durs». Reste à savoir si Macron a conservé dans sa manche de quoi emporter définitivement l'adhésion de l'Assemblée.