Digression et redites interdites, concision des interventions appréciée. Lors des deux semaines réservées à l'examen de la loi Macron à l'Assemblée, les responsables des groupes politiques vont garder l'œil sur leur sablier. Ils disposent de cinquante heures pour décortiquer ce pavé «pour la croissance et l'activité» censé «déréguler» de très nombreux secteurs, du transport en car aux professions réglementées, en passant par l'ouverture des commerces le dimanche, les aéroports, les règles de licenciement, etc. «Un sumo législatif que l'on veut faire entrer dans le tutu du temps programmé», résume un député de droite cité par sa collègue PS, l'ancienne ministre Michèle Delaunay, sur Twitter.
Loi Macron "un sumo législatif que l'on veut faire entrer dans le tutu du temps programmé" affirme un député de droite. #DirectAN
— Michèle Delaunay (@micheledelaunay) January 27, 2015
Les chefs de l’opposition se sont émus, ce mardi matin, en conférence des présidents autour de Claude Bartolone, de ce planning jugé trop serré. Cette procédure du «temps législatif programmé» qui fige la durée des débats – sans toutefois compter le temps de parole du gouvernement des chefs de groupe et des rapporteurs – a pourtant été décidée dès décembre. Mais les responsables des groupes UMP, UDI, Front de gauche et radicaux de gauche en ont rajouté une louche alors que la discussion s’est engagée ce lundi. Ils ont argué que le projet de loi a subitement enflé lors de son passage en commission mi-janvier, passant de 106 à 208 articles. Or, le temps de débat prévu dans l’hémicycle, lui, n’a pas été revu à la hausse.
«Les groupes ne pourront même plus défendre leurs amendements»
208 articles, mais surtout plus de 3 000 amendements déjà enregistrés (dont la moitié signée de l'UMP), sans compter ceux qui seront directement déposés en séance : si l'on se lance dans des divisions, chaque minute comptera. «On est en plein dérapage. Certains articles sont même passés de deux alinéas à six pages, c'est se moquer du monde», s'agace Christian Jacob, patron des députés UMP. Pour François de Rugy (EE-LV), qui ne conteste pas le caractère extrêmement contraint de l'exercice, la droite n'échappe pas là à «la posture» et rappelle que le premier groupe d'opposition est le mieux loti : l'UMP dispose de 20h45, contre 14h05 pour les socialistes, 3h15 accordées aux écologistes, 3h10 et 3h05 aux radicaux de gauche et au Front de gauche. Avec 5h40 de temps de parole, les centristes ne cachent pas leur frustration : «Est-ce que c'est bien sérieux de disposer d'un temps aussi court ? A un moment, les groupes ne pourront même plus défendre leurs amendements», s'inquiète Philippe Vigier, président du groupe UDI. Il sera impossible en tout cas de s'attarder sur un article, sous peine de ne plus disposer des minutes nécessaires pour intervenir sur les suivants.
Or, les points les plus controversés au sein de la gauche sont relégués en fin de texte, notamment l'épineuse question de l'extension du travail dominical pour les commerces de détail. Parmi les vingt amendements communs qu'ils ont déposés sur la loi, les frondeurs du PS en ont consacré neuf à cette mesure. Mais avec le temps programmé – précisément prévu pour éviter l'obstruction – ils craignent de ne pas pouvoir contester en séance la possibilité d'ouverture élargie pour les maires à 12 dimanches, la création de nouvelles zones commerciales, dont les zones touristiques internationales (ZTI) ni réclamer le doublement des rémunérations par dimanche travaillé.
Lors de la discussion générale lundi, «les points de vue alternatifs n'ont déjà pas pu être entendus pour que le groupe garde son temps de parole», s'inquiète un frondeur. En réunion de groupe, le petit groupe de socialistes critiques avec la politique économique du gouvernement a demandé que l'on renonce finalement au temps programmé ou que l'on «remonte» le chapitre portant sur le droit du travail pour examiner ces articles en priorité. Une procédure possible mais que le gouvernement et la majorité écartent pour le moment. De quoi obliger chaque groupe à bien choisir ses batailles.