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Libération
Décryptage

Les politiques publiques démunies face à la pauvreté

Tout en dressant un bilan «globalement positif» de l’action gouvernementale, le rapport de l’Igas souligne la persistance d’une grande précarité.
Blutch, né en 1967, dernier album paru : «Lune l'envers» (Dargaud). (Dessin Blutch)
par Maud Lescoffit et Hélène Deplanque
publié le 28 janvier 2015 à 20h06

Persistance de la crise économique, recul du niveau de vie pour l'ensemble de la population, augmentation du chômage… La lutte contre la pauvreté figure parmi les priorités des politiques publiques mais se heurte à la réalité. L'ancien patron de la CFDT François Chérèque a remis lundi à Manuel Valls un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l'évaluation du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale lancé en janvier 2013 par le gouvernement Ayrault. S'il dresse un bilan «globalement positif» pour sa deuxième année de mise en œuvre, l'ancien syndicaliste alerte le gouvernement sur des chantiers à poursuivre via 45 recommandations.

Le «phénomène inquiétant» des familles monoparentales

La mission tire la sonnette d'alarme concernant la situation des familles monoparentales, dont le taux de pauvreté ne cesse de progresser. Il est passé de 29,7% à 33,6% entre 2005 et 2012. Toutefois, les derniers indicateurs officiels datant de 2012, «l'impact des mesures» prises dans le cadre du dernier plan gouvernemental n'a pas pu être «objectivement évalué». L'Igas recommande néanmoins «la mise en place d'un plan d'aide pour [ces familles], en plus de l'accélération de l'accès aux structures d'accueil collectif (crèches, écoles maternelles) et des accompagnements renforcés vers l'emploi pour leurs parents (formations professionnelles, emplois aidés, etc.)». Plus encore, elle signale le «phénomène inquiétant» de l'augmentation du taux de pauvreté des enfants de moins de 18 ans (+ 0,1 point à 19,6%) au sein de ces familles dont le parent est généralement une femme. D'après des données de l'Unicef, le nombre d'enfants pauvres en France s'est accru de 440 000 entre 2008 et 2012.

Sans-abri : Mettre fin à la «gestion au thermomètre»

Dans la ligne de mire du rapport : le manque persistant de logements sociaux, dont le rythme de construction n'a pas atteint les objectifs définis. Le gouvernement l'avait fixé à 150 000 créations chaque année. Avec 102 728 hébergements financés en 2012 et 117 065 en 2013, selon le ministère du Logement, le déficit est manifeste. Même constat de carence concernant les créations de structures d'hébergement plus pérennes. L'ouverture de places d'urgence à la va-vite en plein hiver ou le recours à des hôtels perpétuent la «gestion au thermomètre» de la question des personnes sans logement, pointent les auteurs du rapport. Selon eux, il faudrait «établir un plan massif d'accès à l'hébergement et au logement afin de résorber l'utilisation excessive de nuitées hôtelières». Le rapport rappelle que pas moins de «141 000 personnes étaient sans domicile en France en 2012». En réponse, la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) a notamment demandé, mardi, une loi de programmation «d'hébergements pérennes et de logements très sociaux» accessibles financièrement aux démunis. La Fnars juge également nécessaire la mobilisation des logements du parc privé vacants et «un plan de sortie des hôtels pour les 30 000 familles qui y sont actuellement hébergées dans des conditions indignes».

Simplifier le retour à l’emploi

Côté emploi, la situation est évidemment très dégradée avec une hausse presque ininterrompue du chômage depuis plus de deux ans qui touche au premier chef les personnes les plus fragiles et les moins qualifiées. Le rapport pointe «le niveau élevé de chômage des jeunes […], 23,7% au troisième trimestre 2014», mais constate, dans l'attente des premiers résultats quantitatifs et qualitatifs, «la qualité de la montée en charge du dispositif et des moyens déployés» pour l'accès à l'emploi de cette partie de la population (contrats de génération, contrats première embauche…). La mission exprime en revanche son inquiétude quant à la suppression, depuis janvier 2013, du dispositif d'aide personnalisée au retour à l'emploi des chômeurs dont «le caractère novateur» avait été souligné par la précédente mission d'évaluation. Elle recommandait le maintient de la mesure. Le retour à l'activité des plus démunis passe également par une réforme «ambitieuse» de l'aide aux travailleurs pauvres. Si la fusion de la prime pour l'emploi et du RSA-activité est prévue pour le 1er janvier 2016, le rapport préconise que cette prime d'activité soit ouverte aux moins de 25 ans.

Lutter contre le renoncement aux soins

L'Igas alerte sur le «renoncement aux soins d'une frange importante de la population pour des raisons financières et administratives». Elle déplore «des réponses [gouvernementales] de nature essentiellement monétaire» alors que «78% de la population éligible à l'Aide pour une complémentaire santé (ACS) n'a pas fait valoir ses droits». La mission Chérèque juge nécessaire «la simplification du formulaire de demande et l'allégement des pièces justificatives à produire lors du renouvellement des droits à la Couverture maladie universelle [CMU] et à l'ACS». L'accès automatique pour les personnes percevant les minima sociaux (RSA, Allocation aux adultes handicapés…) est recommandé. Autre point noir : le possible report de la généralisation du tiers payant, prévu dans le projet de loi de santé à l'horizon 2017. Il serait «un signal négatif à l'accès effectif des soins et en particulier à l'endroit des personnes aux revenus les plus modestes».

Les Principales mesures «bien engagées»

Selon l’Igas, le calendrier de revalorisation des minima sociaux est respecté. Le RSA a été revalorisé d’un peu plus de 8%, passant pour une personne seule de 475 euros en décembre 2012 à 514 euros aujourd’hui. Autres points positifs : les mesures d’accompagnement renforcé vers l’emploi des allocataires du RSA les plus fragiles, l’accès à un compte bancaire des plus pauvres et une amélioration de la prévention du surendettement.

Le gouvernement devrait s’appuyer sur le rapport pour élaborer et présenter début février une feuille de route actualisée concernant le plan annuel de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.