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Libération
Récit

Macron et Cazeneuve se disputent la priorité sur le permis de conduire

Le ministre de l’Economie veut casser le monopole des inspecteurs qui dépendent de l’Intérieur.
Chaque année, 1,3 million de personnes se présentent à l’examen de conduite. (Photo Flore-Aël Surun. Tendance Floue)
publié le 29 janvier 2015 à 19h06

La réforme du permis de conduire tourne à l’empoignade feutrée entre Bernard Cazeneuve et Emmanuel Macron. Alors même que les députés ont commencé à examiner l’article 8 du projet de loi sur «la croissance, l’activité et l’égalité des chances», le ministre de l’Intérieur et celui de l’Economie s’écharpent en coulisse sur l’ampleur des mesures à soumettre au vote de l’Assemblée. Un litige suffisamment sévère pour que Matignon en soit saisi et que les parlementaires s’en inquiètent.

Mercredi soir, le rapporteur UMP du texte, Jean-Frédéric Poisson, réclame dans l'hémicycle des explications à Macron : «Nous connaissons la difficulté qu'il y a à articuler les réflexions entre votre ministère et celui de l'Intérieur. Nous aimerions comprendre ce qui se passe». Il ajoute qu'il ne serait pas surpris que «des modifications spectaculaires» soit apportées au texte. Lequel, en l'état, déçoit dans l'hémicycle. «Le permis est un sésame pour aller travailler et, dans les zones rurales, un passeport pour la métropole», tempête l'UDI Jean-Christophe Fromantin. «Vu les difficultés, 500 000 jeunes roulent sans permis, d'autres déboursent 3 000 à 4 000 euros pour l'obtenir, vos mesures procèdent d'un léger ajustement contextuel. Ne parlons plus de réforme si on en reste là…» L'UMP Guénhaël Huet embraye : «Votre texte ne sert à rien, c'est de la fumée.» Un point de vue partagé à gauche, mezze voce.

L’enjeu est d’importance. En dépit des efforts déployés l’année dernière par Bernard Cazeneuve, les 1 300 inspecteurs du permis, dont il est le ministre de tutelle, n’arrivent pas à répondre à la demande : sur les 1,3 million de personnes qui se présentent chaque année à l’examen de conduite, 90 000 restent sur le carreau, faute de places. Les laissés pour compte sont priés d’attendre (jusqu’à un an en Seine-Saint-Denis), quitte à devoir reprendre de coûteuses heures de conduite afin de se remettre à niveau une fois leur tour venu. Une situation pénalisante pour les jeunes comme pour les moins aisés. Mais, en cette période de restrictions budgétaire, Bernard Cazeneuve exclut d’embaucher. Adepte des coups de pied dans la fourmilière, Emmanuel Macron prend le dossier à bras-le-corps. En accord avec Cazeneuve, il décide de confier le passage du code de la route à des organismes agréés et le soin de faire passer le permis poids lourds à l’Education nationale. De quoi soulager les inspecteurs pour le permis B et libérer 170 000 places par an.

Stock. Le hic, c'est que les demandes d'examen de conduite non satisfaites se sont accumulées depuis la disparition du service militaire, en 1997. Combien sont-elles ? 800 000, affirme l'Intérieur ; 2 millions, avance Bercy. Pour Bernard Cazeneuve, grâce à la réforme, ce stock sera écoulé d'ici dix ans. Pas avant vingt-cinq ans selon Emmanuel Macron… Insoutenable pour le volontariste locataire de Bercy. Avec le soutien actif des députés socialistes en première ligne sur son texte, François Brottes et Richard Ferrand, Macron milite en coulisse pour casser, au moins temporairement, le monopole des fonctionnaires de l'Intérieur sur l'examen du permis. Refus catégorique de Cazeneuve qui s'est engagé auprès de ses troupes à ne pas toucher à leurs prérogatives. Les trahir serait risquer la grève. Pas question pour Beauvau de s'aliéner FO, majoritaire chez les inspecteurs de conduite, dont le soutien sera nécessaire pour engager la réforme territoriale. Pour Macron, c'est la tuile. Ce manque d'ambition risque de ternir l'image de tout son projet de loi. Surtout, l'affaire pourrait le priver du soutien de l'UDI, sur laquelle il comptait afin de faire passer largement son texte et incarner la rénovation du débat politique.

Coup fourré.Officiellement pourtant, le ministre de l'Economie est contraint d'en rabattre : impossible de passer outre l'opposition d'un allié du Premier ministre, Manuel Valls. «Bernard Cazeneuve a pris un engagement vis-à-vis des professionnels, l'arbitrage du gouvernement, c'est de les tenir», argue-t-il dans l'hémicycle, muselant du même coup les socialistes. En dépit des protestations de solidarité gouvernementale de son collègue, Cazeneuve se méfie. A l'Assemblée, un coup fourré est toujours possible. Dépêché sur place, son conseiller parlementaire fait pilier à la buvette. «Les mecs, ne déconnez pas sur le permis», serine-t-il en substance aux députés socialistes. Non sans raison.

En séance, Jean-Christophe Fromantin pousse le bouchon : soutenu par son camp, le député UDI plaide pour que l’examen du permis soit assuré par le privé. A côté, Macron passe pour un tiède. C’est là que les radicaux de gauche entrent en scène. Curieusement, l’un des amendements déposé (mais non encore examiné) par le député radical Joël Giraud recoupe la position du locataire de Bercy. Si, à l’issue des tractations en cours, Matignon choisissait de laisser faire, les rapporteurs socialistes pourraient s’en saisir pour passer en force vendredi matin, lors de la reprise des débats. Suspense.