Le pragmatisme d’Emmanuel Macron a eu raison des réticences de Bernard Cazeneuve. Au terme de deux jours de tractations entre les ministères de l’Economie et de l’Intérieur, c’est une réforme du permis de conduire nettement plus ambitieuse que ce que prévoyait le projet de loi «sur la croissance, l’activité et l’égalité des chances» qui a été adoptée vendredi par les députés.
Courtoisie. Attentif à préserver la concorde gouvernementale, le ministre de l'Economie a écarté l'idée un temps envisagée d'user d'un subterfuge - un amendement des radicaux de gauche sur ses positions - pour faire valoir son point de vue (Libération du 30 janvier). En séance, après «avoir tordu le bras» à un Cazeneuve inquiet d'une possible poussée de fièvre syndicale de ses fonctionnaires, mais à grand renfort d'arguments et de courtoisie, Macron a avancé sans masque, corrigeant au nom du gouvernement son insatisfaisante copie. Quitte à encourir les reproches acerbes des députés de l'opposition, pris de court par cette méthode cavalière. Le ministre s'en moque, qui tient la solution à un problème qui, selon son entourage, le tenaille depuis son premier déplacement cet automne aux abattoirs Gad.
«Le permis va devenir un service public universel : c'est un droit qui doit s'exercer dans de bonnes conditions en termes de délai et de coût sur tout le territoire», explique le député PS François Brottes en séance. Pas gagné au regard du manque de places pour l'examen de passage du permis B, aux temps d'attente entre le premier et le deuxième passage, et à la forte disparité territoriale en la matière (de 98 à 200 jours dans la région Rhône-Alpes et Ile-de-France contre moins de 65 jours dans des départements moins peuplés).
Le dispositif initial du gouvernement libérait suffisamment de places à l’examen de conduite pour répondre aux 1,3 million de demandes annuelles. En revanche, il laissait largement en suspens le problème du stock de postulants - entre 800 000 et 2 millions - qui s’est accumulé depuis la suppression du service militaire. Une cote mal taillée dont Macron ne se satisfaisait pas.
Le principe du service universel posé, ce dernier a annoncé avoir obtenu l'improbable : casser au besoin le monopole des inspecteurs du permis, sous tutelle de Cazeneuve. Sur sa lancée, le ministre définit le besoin en question : s'il arrive que dans un département le délai moyen entre deux présentations d'un même candidat à l'épreuve pratique du permis dépasse 45 jours (la moyenne européenne), d'autres que les fonctionnaires de l'Intérieur pourront faire passer l'épreuve. D'autres ? Des agents publics agréés mais aussi des «contractuels». «Il n'est pas question de privatiser», cingle Macron au grand dam de l'UDI, du coup réticente à voter la loi. «Aujourd'hui, Bernard Cazeneuve a entamé des réflexions avec les inspecteurs de conduite pour optimiser leur répartition sur le territoire. Si, malgré tout, ils étaient dans l'impossibilité de répondre à la demande, l'Etat s'astreindra à l'obligation de recourir à d'autres fonctionnaires ou aux agents des entreprises publiques», mais aussi d'anciens policiers ou militaires.
Epreuves. Macron a déjà les pris les devants : contacté, Philippe Wahl, le patron de la Poste, doit lui remettre d'ici fin mars des propositions pour que soit inclue dans les missions de ses agents assermentés la possibilité de faire passer les épreuves de conduite. «Il s'agit d'utiliser au mieux les ressources publiques ; de nous organiser collectivement, insiste le ministre, la privatisation n'est pas une fatalité.» Merci la Poste.