Menu
Libération

La réunification de François Hollande

publié le 11 février 2015 à 17h46

L’Allemagne a eu besoin de quarante-cinq ans et de Mikhaïl Gorbatchev pour se réunifier. François Hollande a eu besoin de deux ans et demi et des terribles attentats de janvier pour parvenir à en faire autant. Durant trente mois, la France a observé, avec inquiétude et incrédulité, quatre François Hollande à la fois : un François Hollande international, actif et déterminé ; un François Hollande hexagonal, complexe et contradictoire ; un François Hollande public, minimaliste et indéchiffrable ; un François Hollande en petit comité, clairvoyant et cohérent : les citoyens, abasourdis, y perdaient leur latin, la gauche se désespérait, la droite tempêtait, l’extrême droite insultait. Quatre chefs d’Etat à la fois à l’Elysée, c’était trois de trop. Les sondages plongeaient, les élections sanctionnaient, les pronostics se crêpaient de noir.

Le mois de janvier a tout changé. Non pas que la situation politique se soit subitement inversée : François Hollande reste lourdement impopulaire, la gauche est en miettes, la conjoncture économique et sociale demeure morose, la défiance et le ressentiment perdurent mais on a retrouvé un président, un seul. A l’épreuve des attentats et de l’impressionnante réaction populaire qui a suivi, François Hollande s’est soudain réunifié. Il a fait preuve, au vu et au su de tous, de fermeté et d’empathie. Il a, enfin, trouvé les mots et le ton qui convenaient. Il a dirigé sans faiblesse l’action du gouvernement, bien secondé par Manuel Valls, par Bernard Cazeneuve et par Jean-Yves Le Drian. Il a rassemblé à Paris une constellation de dirigeants du monde entier totalement inédite dans de telles circonstances. Bref, il a, pour la première fois et de façon incontestable, incarné son pays et suscité de la fierté.

Ce n’est en rien un gage de popularité, mais c’est un changement de statut. La courbe des sondages, subitement redressée (à une hauteur néanmoins modeste), s’affaissera de nouveau, s’affaisse déjà. François Hollande ne devient pas François le bien-aimé, mais il a gagné dans l’épreuve ce qui lui manquait le plus, la considération. A l’Elysée, l’absurde thèse du «président normal», l’avalanche fiscale, la stagnation économique, la communication incompréhensible avaient fait de lui, en apparence, un objet politique non identifié. Cette phase est terminée. Réunifié dans le regard des Français, François Hollande incarne désormais un président contesté, combattu mais respectable et déterminé. L’an passé, personne n’aurait parié un kopeck sur son avenir électoral. Plus rien ne paraît définitivement joué. La porte s’était fermée, elle s’entrebâille. La tragédie a fait de François Hollande un chef d’Etat.

Sur le plan international, les circonstances, il est vrai, s’y prêtent particulièrement. La guerre menace en Ukraine, aux frontières même de l’Union européenne. François Hollande bataille de son mieux aux côtés d’Angela Merkel pour tenter de trouver une issue honorable avec l’hypernationaliste Vladimir Poutine. A Bruxelles, la France jouera un rôle décisif dans la crise grecque. Si elle parvient à faire accepter une solution raisonnable (un assouplissement de la dette), ce sera peut-être, enfin, le moment d’enclencher la relance de la croissance. Au Moyen-Orient, dans le Sahel, la France tient sa place. Les calembredaines des déclinistes, qui la voyaient déjà sortie de l’histoire et promise à l’effacement, n’ont jamais semblé aussi sottes. François Hollande mène une politique étrangère non pas infaillible, non pas irrésistible mais cohérente, active et perceptible.

Sur le plan intérieur, les choses vont évidemment beaucoup moins bien. Les élections départementales de mars vont être un désastre pour la gauche, stupidement éparpillée. Les élections régionales risquent elles aussi de tourner au fiasco. Quant au congrès socialiste, il s’annonce comme un festival d’égoïsmes mesquins et de dénis absurdes de la situation économique. Le socle électoral de François Hollande reste exigu et son parti tient plus du fardeau que de l’atout. Tout va dépendre cependant beaucoup plus de la lente et progressive reprise de la croissance et de ses effets sur l’emploi. C’est naturellement à cette aune-là que les Français jugeront comme toujours leur président. Les élections se jouent à 80% sur le terrain économique et social, à 20% sur le terrain politique. François Hollande a des adversaires politiques résistibles, soit en raison de leur faiblesse (Sarkozy, Mélenchon, Duflot), soit en raison de leur force (Marine Le Pen et ses séides). Osera-t-il, parviendra-t-il à accélérer la modernisation de l’économie ou la laissera-t-il continuer à s’enliser dans son décor archaïque ? Ce sera-t-il réunifié en vain ou pas ? La forme finale de la loi Macron et celle de la future et trop tardive loi sur le dialogue social fourniront les premiers éléments de réponse.