Il aura fallu attendre 18 h 20, samedi, pour que l’Assemblée nationale aborde enfin le volet «droit du travail» du projet de loi Macron. En moins de douze heures, la poignée de députés encore présente dans l’hémicycle a balayé une série d’articles et d’amendements sur la justice prud’homale, le dialogue social ou encore les licenciements collectifs. Autant de réformes qui divisent les députés depuis plusieurs semaines - jusqu’au sein de la majorité -, et qui auraient mérité, sans aucun doute, un peu plus de temps de débats.
Raccourcir les délais aux prud’hommes, mais à quel prix ?
Combattu par les organisations syndicales, tant salariales que patronales, comme l'a rappelé Jacqueline Fraysse, députée communiste, l'article 83 du projet de loi Macron, vise à simplifier la justice prud'homale. Objectif : réduire la moyenne de traitement des affaires, qui atteint aujourd'hui plus de quinze mois (et jusqu'à vingt-neuf mois). Il veut aussi renforcer la qualité des procédures, en favorisant notamment l'étape de la conciliation, qui ne permet de résoudre actuellement que 6% des affaires. Pour y parvenir, le texte prévoit une meilleure formation des conseillers, la création d'un statut de «défenseur syndical» chargé d'assister ou de représenter les parties, la mise en place d'un bureau de jugement restreint à deux conseillers statuant dans un délai de trois mois ou encore la possibilité de recourir directement à un juge départiteur en cas d'échec de la conciliation. Un point dénoncé par Jacqueline Fraysse, qui souligne le risque «d'une justice à plusieurs vitesses» et le manque de moyens des prud'hommes.
La mise en place d’une grille va-t-elle de dénaturer la justice prud’homale ?
La «barémisation» des dommages et intérêts versés par l'employeur au salarié licencié est un point de tension. Né d'un amendement gouvernemental adopté à 30 pour 39 votants, le texte instaure un «référentiel» calculé à partir de la jurisprudence. Mis à disposition du juge pour trancher les montants alloués, il n'est qu'indicatif, sauf lorsque les deux parties demandent conjointement son application. Pour les rapporteurs du texte, il permettra d'harmoniser les jugements. Au risque, selon l'UDI Francis Vercamer, de «déposséder un peu le juge». Un avis partagé par Emmanuel Mauger, avocat spécialisé en droit du travail, pour qui «toute idée de barème est contraire à l'individualisation du préjudice et la prise en compte de la situation des personnes».
Pourquoi les syndicats risquent-ils de perdre du poids en cas de plan social ?
Dernières débattues, les mesures sur les procédures de licenciements collectifs ont également donné lieu à quelques échanges musclés. Le projet de loi permet à l'employeur, dans le cadre d'un plan social, d'appliquer les critères d'ordre déterminant les licenciements à une zone d'emploi. Ainsi, une entreprise qui compte plusieurs établissements pourra cibler les licenciements au sein de ce zonage, défini par l'Insee. De quoi, selon Macron, «clarifier l'incohérence d'une jurisprudence qu'a pointée le rapporteur». Jusqu'à présent, seul un accord collectif permettait de définir ce périmètre à un niveau inférieur à l'entreprise.
Appelée à se prononcer sur la validité du plan social de l'entreprise Mory-Ducros, la justice avait remis en cause, en octobre, le droit des employeurs à le déterminer de manière unilatérale. Pour l'avocat Emmanuel Mauger, ce nouveau droit accordé aux patrons pourrait réduire les marges de manœuvre des représentants des salariés dans la négociation du contenu des plans sociaux. Un discours repris même à droite, deux députés UMP ayant déposé un amendement, en date du 21 janvier, pour supprimer cet article porteur d'un «reniement du dialogue social».
Egalement dénoncé par des députés UMP et l'aile gauche de l'hémicycle, un autre article du projet de loi stipule qu'un plan de sauvegarde de l'emploi doit être apprécié au regard des moyens de l'entreprise, et non plus du groupe auquel elle appartient. Pour le gouvernement, le texte formalise un état de fait puisque l'administrateur judiciaire n'aurait jamais eu le pouvoir de contraindre les groupes à mettre des moyens supplémentaires. Mais pour la députée PS Fanélie Carrey-Conte, il s'agit surtout d'une «exonération de [leurs] responsabilités». De quoi «rassurer» un peu plus les investisseurs, notamment étrangers, comme le souhaite Macron.
Encore un geste pour les patrons ?
Le texte prévoit aussi de supprimer la peine de prison pour entrave au fonctionnement d'un comité d'entreprise. Une sanction «jamais appliquée», selon le ministre, mais à forte portée symbolique.