Manuel Valls le dur à cuire, le socialiste du parler cash et de l'action furtive, le théoricien de l'autorité retrouvée à la tête du gouvernement, n'imaginait probablement pas prononcer ces mots un jour. «Je ne prendrai aucun risque», a déclaré le Premier ministre mardi pour expliquer sa décision de passer en force sur la loi Macron, quitte à plastronner quelques heures plus tard sur TF1 : «J'ai du carburant pour continuer les réformes».
Dix mois après son arrivée à Matignon, voilà le chef du gouvernement qui se retrouve, selon ses propres mots, à la tête d'une «majorité incertaine», contraint d'utiliser le verrouillage de vote contre ses propres troupes. Des camarades chafouins, qui ne se sont pas privés de rappeler que le mentor en politique de Valls, Michel Rocard, avait certes utilisé 28 fois cette procédure mais que lui n'avait eu qu'une majorité relative à sa disposition dès le départ, ce qui l'avait obligé à composer à chaque vote, notamment avec les centristes. Un quart de siècle plus tard, handicapé depuis le début de son magistère par le départ des écologistes et la radicalisation d'une partie de la base socialiste, force est de constater que Manuel Valls n'a jamais récupéré au centre ce qu'il perdait à gauche. C'est d'ailleurs peut-être ce qui l'a conduit à faire le grand saut: ne pas devoir son succès de justesse à la droite et remettre la gauche à sa place puisque celle-ci ne s'aventurera pas à voter la motion de censure déposée par l'UMP. Décidé au dernier moment malgré les alertes lancées dès ce week-end par une partie de la majorité, ce 49.3 est un «plantage général», dément un ténor socialiste. Et avant des lois aussi cruciales que celle en préparation sur le travail et l'emploi, cela ne peut être que de mauvais augure.
«Démission». Le Premier ministre ayant pris la main sur le texte dès le début du mois de décembre, le présentant en personne et en grande pompe à l'Elysée, c'est sur lui que les conséquences se font le plus sentir. C'est le patron des députés UMP, Christian Jacob, qui a glissé le mot «démission» dans son interpellation du Premier ministre, mais certains socialistes ne sont pas loin de penser la même chose. «Sa méthode est mise en échec : le président de la République ne peut pas ne pas lui en tenir rigueur», juge un député. De fait, peu de ministres se sont mouillés pour la future loi Macron et, tout en promettant que les réformes allaient se poursuivre, le chef de l'Etat a donné le sentiment qu'il passait à autre chose lors de sa conférence de presse semestrielle, début février, en promettant d'aller «beaucoup plus loin» sur l'égalité des territoires, l'éducation et l'accès à la santé.
Deals. «Hollande marche sur l'eau depuis un mois : il fait la paix en Ukraine et l'union nationale [dans le Bas-Rhin en se rendant dans le cimetière juif profané mardi matin, ndlr]. Il ne peut pas être mécontent que Valls soit empêtré dans la tambouille parlementaire», estime un dirigeant PS. Sauf que tout à sa gestion musclée de la majorité, le Premier ministre a peut-être laissé passer sa chance de faire voter le texte. Au fil de ses cent quatre-vingt-seize heures de débats, en commission et dans l'Hémicycle, Macron, ministre débutant mais manœuvrier habile, avait visiblement scellé des ébauches de deals avec une partie des frondeurs, notamment sur le salaire plancher pour tout travail le dimanche. Des accords débranchés par Matignon ce week-end.
Au fond, depuis les attentats et la manif monstre du 11 janvier, l'erreur du chef de la majorité a été de penser que tout avait changé sur la scène politique. En marge de sa visite officielle en Chine, Valls se réjouissait même de ce qu'on n'allait «plus parler d'économie» désormais en France. C'était oublier un peu vite que les Français ne voyaient toujours pas venir d'amélioration de leur quotidien et que la France avait fait de sa «loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques» un gage à la Commission européenne de sa détermination à engager des «réformes de structure». Pour l'instant, Valls est sanctionné à Paris sans aucune certitude d'être encensé à Bruxelles.