«Partout où ils peuvent nous faire chier, ils dégagent», lance ce député PS. Mercredi, au lendemain de l'utilisation du 49.3 par l'exécutif pour faire passer en force son projet de loi «sur la croissance et l'activité», l'heure est aux règlements de compte. Le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, en tête, ils sont nombreux, côté socialiste, à réclamer des «sanctions» à l'encontre de la cinquantaine de camarades qui menaçaient de ne pas voter ce texte emblématique pour François Hollande et Manuel Valls. Mardi soir, juste après l'annonce du Premier ministre devant les députés de l'utilisation de cette arme constitutionnelle lui permettant de se passer d'un vote en échange de l'engagement de la responsabilité de son gouvernement, une réunion du groupe socialiste a vu les députés de la majorité s'écharper. «C'était terrible… soupire un député. Une catastrophe : ils ont lâché les tontons macoutes.» Appels à l'«exclusion», utilisation de l'expression «couteau dans le dos»… «C'était très violent, confirme un député pro-Valls. La base qui bosse comme une tarée s'est sentie humiliée. Elle mouille le maillot sans jamais avoir le micro.»
Menton. Depuis qu'on les appelle les «frondeurs», ces députés socialistes récalcitrants ont déjà été privés de questions d'actualité et de rapports ou transférés d'office dans une autre commission parlementaire. Des «actes d'autorité» qui n'ont pas calmé grand-monde : de l'abstention, ils sont passés à la menace de mettre le gouvernement en minorité. Et ce ne sont pas de nouveaux coups de menton qui vont les impressionner. «Que peuvent-ils faire ? Nous exclure du groupe ? On deviendrait la troisième force politique de l'Assemblée nationale», fait remarquer l'un d'eux. «On ne peut pas se payer le luxe de l'exclusion, mais nous devons entrer dans une nouvelle ère, veut croire un proche du Premier ministre. Que ceux qui contestent la ligne ne puissent plus avoir la moindre responsabilité à l'Assemblée.» D'autres veulent que le PS les menace de les priver d'investiture aux prochaines élections. «S'ils veulent régler une fracture politique avec de l'administratif, très bien, mais ce n'est pas en me tirant les oreilles que les choses vont rentrer dans l'ordre», répond le député Pouria Amirshahi.
Déjà, plusieurs ministres proches de François Hollande insistent pour qu'il n'y ait «pas de sanctions». «Il faut trouver les voies et moyens d'un rappel à l'ordre mais préserver l'unité du parti socialiste», dit l'un d'eux. Une autre : «Je ne pense pas qu'il faille une discipline militaire et des sanctions vexatoires. On ne fait pas avancer une équipe par des oukases. Il y a dans les frondeurs des gens totalement sincères.» Conciliateur, le député Christophe Borgel, insiste, lui, sur la nécessité de «ne pas réagir à chaud» et «prendre son temps [pour] réfléchir à ce qui s'est passé». «Il existe une très grande liberté de débat dans le groupe et une souplesse instaurée de vote en vote, souligne-t-il. Mais on ne peut pas accepter que certains aillent jusqu'à battre le gouvernement. Dans les prochains votes, vous verrez qu'il y aura une majorité.» D'autres de ses camarades estiment, qu'au contraire la situation vient du patron du groupe, Bruno Le Roux. «Il n'arrive pas à manager ni à tenir une ligne ou trouver une cohésion au groupe, balance un proche du Premier ministre. Il y a un défaut d'autorité dans le groupe mais aussi dans le parti.»
«Anguleux». Plusieurs socialistes réclament ainsi un «acte d'autorité» du premier secrétaire. «Mardi, au prochain bureau national, il doit dire "ça suffit !"» demande le sénateur Luc Carvounas, proche du Premier ministre. Jusqu'à des menaces d'exclusion ? «Si lorsqu'on n'est pas d'accord avec un texte, on exclut les parlementaires, il ne va pas rester grand monde à la fin !» D'autant que Cambadélis veut s'assurer une large majorité lors des votes militants du congrès de Poitiers, en juin. Après l'épisode du 49.3, rassembler des amis de Martine Aubry à ceux de Manuel Valls semble compliqué… «Le texte de Martine est tellement anguleux que ça va être compliqué», juge un des signataires de cette contribution. «Quand je regarde les textes, ils ne sont pas très éloignés», lui rétorque Christophe Borgel, lequel travaille à la fusion entre celui de Cambadélis (qui compte déjà une grande majorité de familles socialistes, dont les plus proches de Hollande et ceux de Valls) et celui d'Aubry pour constituer une «grande motion». «Nous avons envie de discuter avec elle et ses amis, ajoute Carvounas. Son concept de "nouvelle démocratie", ça m'intéresse !»
Les uns prédisent déjà un «effet boomerang» chez des adhérents qui n'ont pas supporté la désunion de leurs leaders après le 11 janvier sur cet épisode de la loi Macron et du 49.3. Les autres jugent que la «brutalité» de Valls empêche le rassemblement. «Le vote des militants sera surtout conditionné au résultat des départementales», parie la sénatrice de Paris, Marie-Noëlle Lienemann, une des porte-voix de l'aile gauche. Entre ce scrutin et la date limite du dépôt des motions, ce sera court : deux petites semaines.
Photo marc Chaumeil