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Libération

La déconvenue des déclinistes

publié le 18 février 2015 à 18h46

L’année dernière, les déclinistes triomphaient. L’économie française semblait s’enliser inexorablement. Le gouvernement annonçait une croissance quasi-nulle (0,4%). Les investissements continuaient à fléchir, la courbe du chômage ne cessait de grimper. Le pessimisme, l’anxiété, le ressentiment dominaient. La popularité du Président était au plus bas, celle du Premier ministre fléchissait. La gauche était discréditée sans que la droite soit réhabilitée. Le FN progressait. Les oiseaux de mauvais augure exultaient. Michel Houellebecq annonçait la fin de la République, Eric Zemmour déplorait l’effacement de la France. Avec l’implacable efficacité de leur sombre talent, tous deux décrivaient un pays aux abois dont la personnalité se dissolvait, dont l’âme s’envolait, une France sortant de l’Histoire. Le nombre vertigineux de leurs lecteurs attestait que leurs propos rencontraient un vaste écho.

En 2015, la croissance n’est pas revenue, le chômage persiste, l’inquiétude subsiste mais le climat a changé en quelques semaines. Les attentats de janvier ont choqué, blessé, alarmé mais, loin d’assommer et de désespérer, ils ont au contraire mobilisé et rassemblé comme jamais. Des millions de Français sont spontanément descendus dans la rue pour manifester leur solidarité et leur refus de la violence, du terrorisme, de l’extrémisme. François Hollande métamorphosé, comme rendu à lui-même par le tragique des circonstances, est apparu pour la première fois au grand jour en chef de l’Etat. Manuel Valls a prononcé le plus beau discours de la décennie. Des marches sans précédent, une quarantaine de dirigeants internationaux se sont précipités à Paris pour manifester leur solidarité, ce qu’aucun attentat, où que ce soit, n’avait jusqu’ici provoqué. En quelques jours, la France meurtrie a paru retrouver son âme. Elle parlait de nouveau au monde. Elle redevenait, non pas la puissance impériale de jadis mais beaucoup mieux, un symbole universel de liberté et de démocratie. Non pas une prétention d’exemplarité, elle a trop de défauts pour cela mais une parole singulière, une présence particulière, mélange de souvenirs historiques, de fortes spécificités culturelles et d’une influence persistante. Le contraire même d’une nation sortie de l’Histoire ou en voie de banalisation, l’inverse d’un pays en déclin.

Sur la carte du monde, la France est loin d’avoir épuisé ses atouts. Aux Nations unies, sa voix porte. Sur le continent noir, en Afrique subsaharienne, son rôle, forcement contesté, demeure plus marquant et plus attendu que celui des grandes puissances. Au Moyen-Orient comme dans le Sahel, elle combat le terrorisme avec une armée réduite et appauvrie mais toujours efficace et respectée. Avec la Grande-Bretagne, elle est la dernière nation européenne à disposer d’un outil militaire digne de ce nom. En Europe, où son influence avait régressé, elle retrouve peu à peu son poids. Le conflit ukrainien en témoigne, la crise grecque le confirme, sa stratégie de la croissance progresse. La diplomatie de la France se brouillait depuis vingt ans, elle s’éclaircit et s’affermit. Où est l’effacement ?

Evidemment, l’économie française ne redevient pas dynamique pour autant, la société française ne sort pas de son malaise persistant et, ceci expliquant largement cela, la politique française reste entravée par ses frilosités et ses conservatismes, par l’archaïsme idéologique de la gauche, par les contradictions perpétuelles de la droite et par l’ascension continue de l’extrême droite. Pourtant, là aussi quelques signes positifs se manifestent. L’environnement international (euro, pétrole, taux d’intérêt) est propice. La croissance 2015, sans briller, s’améliorera. Le chômage devrait se stabiliser et sans doute commencer à reculer à la veille de 2016. La construction, l’automobile donnent quelques espoirs. La loi Macron témoigne de la volonté de s’en prendre aux entraves bureaucratiques et réglementaires. La pression fiscale des classes moyennes inférieures devrait s’alléger légèrement si les collectivités locales ne ruinent pas cet effort par une politique du personnel clientéliste. La question de l’intégration revient enfin en force sous la pression des attentats, la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie reprend, l’unité de la société redevient la priorité. La France ressemble à une grande malade qui sort peu à peu de sa dépression. Quelques tabous tombent, on pratique moins le déni. La nécessité de l’autorité publique ressort. On ose se demander pourquoi l’absentéisme scolaire est plus élevé dans les écoles publiques que dans les écoles privées, dans les collectivités locales que dans les entreprises. Paradoxalement, le choc des attentats et la forte menace Marine Le Pen, loin de décourager réveillent les énergies. Un besoin d’agir, de réagir, d’avancer, d’accélérer se manifeste, même s’il est brouillé par de pitoyables manœuvres politiciennes. Ce n’est pas le déclin qu’on perçoit mais au contraire l’élan neuf d’une société qui se défend.

Prochaine chronique le 5 mars.