Gleeden ne fait pas que des heureux. Une fédération d'organisations religieuses conservatrices, les Associations familiales catholiques (AFC), a annoncé jeudi qu'elle attaquait en justice le site de rencontres spécialisé dans les relations extraconjugales. En cause, une campagne publicitaire évoquant la tentation d'Eve, avec une pomme croquée sous un slogan évocateur : «Le premier site de rencontres extraconjugale pensé par des femmes.» Une pétition a recueilli plus de 20 000 signatures pour demander le retrait de «ces publicités scandaleuses». Solène Paillet, porte-parole de Gleeden, défend le site en arguant que «ce n'est qu'une campagne de pub. On cherche juste à se faire connaître auprès des personnes qui sont déjà infidèles. En aucun cas nous ne voulons inciter les personnes fidèles à tromper leur conjoint. Et puis, il ne faut pas prendre les gens pour des idiots. C'est comme n'importe quelle pub : ça suscite du désir, mais les gens ne vont pas y souscrire automatiquement». Les détracteurs de Gleeden expliquent que la dernière campagne entre en violation du code civil. En facilitant «l'adultère», le site fait «la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi», selon l'avocat des AFC. Si l'infidélité n'est plus une faute pénale depuis 1975, l'article 212 du code civil dispose que «les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance».
Le site a fait de la provoc son mode de communication. Son dernier coup date du 31 janvier, au Salon du mariage de Paris. Gleeden avait loué un stand sous le faux nom «Pomme d’amour toujours». Peu après son installation, les affiches avaient été retirées pour dévoiler au public la vraie identité des organisateurs et distribuer des pommes d’amour. Une opération marketing de mauvais goût pour beaucoup, mais au final inoffensive. Stéphane Valory, avocat au barreau de Paris et spécialiste du droit de la famille, analyse le bien-fondé juridique ou non des accusations portées par les Associations familiales catholiques.
La requête des AFC est-elle valable ?
D’un point de vue juridique, l’assignation a un fondement. Elle invoque une atteinte à l'ordre public et aux bonnes moeurs. L’association a en effet des arguments juridiques à faire valoir. En organisant des relations avec des personnes mariées, elle facilite d’une certaine façon un manquement au devoir de fidélité. On incite les couples mariés à une violation du devoir de civilité, de l’ordre publique et du respect des bonnes mœurs.
Cela a-t-il des chances d’aboutir en leur faveur ?
C’est intéressant de mettre cette assignation en perspective avec un arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 novembre 2011. Un homme encore marié avait souscrit à un contrat de mariage via une agence matrimoniale. La question était de savoir si l’objet de ce contrat était illicite. Le contrat avait été déclaré nul en première instance et en appel. Mais la Cour de cassation a cassé les décisions des juridictions du fond. Le fait, pour une agence matrimoniale, d’organiser des rencontres avec une personne mariée n’a pas été jugé contraire à l’ordre public ni au respect des bonnes mœurs parce que la proposition n’impliquait pas automatiquement une réalisation des faits. Toutefois, il faut nuancer les choses : l’agence s’adressait à un ensemble de personnes et pas aux personnes mariées exclusivement, ce qui n’est pas le cas de Gleeden. Cette société a une attitude plus provocatrice parce qu’elle s’adresse exclusivement aux personnes en couple, il peut y avoir débat.
La fédération va donc l’emporter ?
Pas nécessairement. Sur ce type de questions, la justice va également prendre en compte l’état des mœurs dans notre société. La notion de devoir de fidélité et de respect des bonnes mœurs est malléable. Il y a cinquante ans, il y aurait eu davantage d’émoi autour de l’offre de Gleeden. Beaucoup de choses ont évolué depuis lors. La justice ne va donc pas statuer comme il y a cinquante ans. Le mariage homosexuel a été autorisé, c’est bien la preuve que les régimes matrimoniaux et les mœurs évoluent constamment. D’ailleurs, les Argentins ont récemment supprimé du code civil la notion de devoir de fidélité.
Quels arguments peut faire valoir la défense ?
La défense va dire : «Moi, je fais des propositions à des personnes, c’est un service. Mais je n’oblige pas les gens à tromper leur conjoint.» De la même manière, la maîtresse ou l’amant ne peut pas être considéré(e) comme responsable dans un cas d’adultère. Le devoir de fidélité est un devoir civil, ce n’est en aucun cas une norme absolue. Par exemple, quand des procédures de divorce durent plusieurs années, on ne reproche pas aux gens séparés de refaire leur vie avec quelqu’un d’autre alors que, aux yeux de la loi, ils sont encore mariés. On ne reproche pas non plus une infidélité à ceux qui ont des pratiques échangistes. Le devoir de fidélité est une notion plus flexible qu’il n’y paraît. La procédure pourrait être longue, je ne serais pas étonné que l’affaire remonte jusqu’à la Cour de cassation.
Or c'est une obligation légale qui s'impose aux époux.