«L’encadrement des loyers n’existe nulle part ailleurs qu’en France. Et pour cause : il introduit des blocages et des effets pervers qui ont une incidence majeure sur le marché.»
François Fillon, député UMP, le 25 février sur son blog.
INTOX. Après l'éducation, la compétitivité ou encore l'immigration, François Fillon présentait mercredi ses propositions pour réformer la politique du logement, en vue de sa candidature à la primaire UMP. Dans le collimateur de l'ancien Premier ministre, la loi Alur, «l'une des lois parmi les plus néfastes du quinquennat» qu'il compte purement et simplement abroger. L'une des mesures de la loi de Cécile Duflot, l'encadrement des loyers, qui sera expérimenté à Paris intra-muros courant 2015, puis dans les communes où les maires en feront la demande, serait selon lui une exception française faisant entrave à la libre concurrence. «L'encadrement des loyers n'existe nulle part ailleurs qu'en France. Et pour cause : il introduit des blocages et des effets pervers qui ont une incidence majeure sur le marché.»
DESINTOX. Contrairement à ce qu'affirme l'ancien Premier ministre, la France n'est pas la seule à vouloir lutter contre la spéculation immobilière. Plusieurs pays, comme l'Allemagne, exemple le plus souvent cité, mais aussi les Pays-Bas, la Suède et la Suisse pratiquent une régulation des prix des logements. L'encadrement des loyers de la loi Alur s'inspire d'ailleurs largement du «miroir des loyers» (Mietspiegel) allemand, qui mesure les loyers pratiqués dans chaque ville ou chaque quartier. Le locataire peut poursuivre son propriétaire en justice si son loyer dépasse de 20% le loyer de référence, calculé en fonction de la taille, de la situation et de la qualité du logement. Résultat : des loyers moitié moins chers qu'en France, dû aussi à une offre locative abondante.
Le gouvernement allemand a également adopté à la fin de l'année dernière un système de blocage des loyers à la relocation, qui devrait entrer en vigueur d'ici mi-2015. Objectif de cette mesure, qui concernera seulement l'immobilier ancien : limiter la hausse du loyer à 10% du loyer moyen dans les zones tendues lors d'un changement de locataire. Un dispositif similaire existe pour les logements privés en France depuis le décret du 1er août 2012.
En Suisse, le locataire a la possibilité de contester son loyer dans un délai de 30 jours après la remise des clefs auprès d'une autorité de conciliation, qui peut ensuite rendre une décision sur le montant du loyer. Un recours est ensuite possible auprès du tribunal compétent. Mais en pratique, les locataires, faute de connaître leurs droits, ne contestent que rarement leur loyer. Seulement 400 litiges ont été recensés dans toute la Suisse au 1er semestre 2014. «La démarche n'est pas simple, les tribunaux de baux et loyers ne sont pas gratuits partout» et «ils n'ont pas conscience que le loyer est abusif», explique l'Association suisse des locataires (ASLOCA). Enfin, un loyer maximum peut être fixé par arrêté en cas de pénurie de logement dans un canton.
Aux Pays-Bas, les loyers sont fixés selon un système de points, accordés en fonction de la surface, de l'état ou encore de l'équipement du logement. Le nombre de points permet de calculer le loyer maximum, et en cas de dépassement, le locataire peut saisir une organisation indépendante, détaille une étude de l'Observatoire des conjonctures économiques (OFCE) de 2012.
En Suède, un office municipal du logement fixe, avec les associations de locataires, le loyer de référence dans chaque commune. Les propriétaires peuvent réclamer une somme supérieure à ce loyer médian, établi en fonction du confort des logements et de leur ancienneté. Mais ils sont alors certains de perdre si leurs locataires les attaquent en justice: les tribunaux se basent sur le loyer négocié entre les sociétés communales et les locataires. Dans un rapport publié en 2011, l'écologiste René Dutrey, alors président de la commission Logement et Urbanisme de Paris, reconnaissait quelques failles au modèle suédois : «le système semble atteindre ses limites. Il nécessite un parc "social" important, alors qu'un mouvement de privatisations et de vente de certains des logements publics remet en cause cet équilibre.» Le gouvernement suédois, accusé par la Commission Européenne de faire entrave à la libre concurrence, a dû assouplir l'encadrement des loyers en 2011, en étendant au privé les aides d'Etat jusqu'alors réservées au seul logement public.
«Il est complètement hasardeux de parler des effets négatifs de l'encadrement des loyers au niveau européen ; il n'existe pas d'étude de référence à ma connaissance», affirme Laurent Ghekiere, représentant auprès de l'Union européenne de l'Union sociale pour l'habitat. «Cela n'a surtout pas de sens juridique de comparer les systèmes entre eux, puisque la notion même de propriété est très différente d'un pays à l'autre. Du reste, en Allemagne, où l'encadrement des loyers existe depuis longtemps, les phénomènes de bulles spéculatives immobilières ont été moins intenses. L'encadrement des loyers peut être un moyen de prévenir ce type de tension.»