«Limoges 4». Cette langue de terre qui s'étire au nord de la ville avalant trois quartiers populaires, dont la Bastide, et une fraction du quartier résidentiel de Beaune-les-Mines, est dans tous les esprits. Impensable il y a encore dix ans : ici le Front national vise la première marche. Fini le temps des amicales, des ouvriers et des petits fonctionnaires. A la Bastide, même le centre commercial n'est plus que l'ombre de lui-même. «Ça fait longtemps qu'on a l'impression de ne pas compter. Les politiciens, on les voit pendant les élections et les médias pour les faits divers», s'emporte Amine. Hadj, 28 ans, dont vingt-quatre en France, n'a toujours pas de carte d'identité. «Je ne connais rien de l'Algérie… si je ne suis pas français, je suis quoi alors ?» Il reprend. «Je n'ai peut-être pas ma carte, mais je sais ce qu'il y a dans ce pays que je dois défendre : la liberté. Il n'empêche, je continue de me demander : emploi, logement… pourquoi les gens des quartiers doivent-ils faire leurs preuves plus que les autres ? Et pourquoi ceux qui décident s'obstinent à ghettoïser la misère ?»
Frictions. Hamid, le boucher, déplore : «Depuis 2011, j'ai perdu 50% de mon chiffre d'affaires. Les commerces ont fermé un à un, et la ville a tout racheté. On nous a soumis un projet qu'on attend toujours.» Marguerite, elle, égrène les anecdotes. Il y est question de règlements de compte entre communautés, de caillassages, de frictions entre les générations. Du coin de l'œil, elle désigne des enfants, «des guetteurs». Au rez-de-chaussée, le panneau du département indique «Protection maternelle et infantile», et sous les fenêtres un graffiti «Timba la Beu». «"Timba", ça veut dire La Bastide, "la Beu"… Ça veut dire qu'ici, c'est le comptoir du deal, lance-t-elle dépitée. Alors, je ne vote pas FN, mais je comprends mes voisins.»
Les indicateurs sont formels, ici on trouve la fraction la plus jeune de la population de Limoges, l'un des plus forts taux de chômage et un niveau d'étude faible. Le revenu moyen est inférieur à 800 euros, et le taux d'étrangers est supérieur à 30%. De l'ancien temps, ne restent que ceux qui ne peuvent pas partir. Ils sont âgés et modestes. C'est ici, aux cantonales de 2011, que le FN a fait une stupéfiante percée. «Un accident statistique», disait-on, qui scrutin après scrutin s'est pourtant reproduit. Au pied des tours, le maire socialiste sortant, qui caracolait à 73% en 2008, n'a fait que 35% en 2014. Et c'est par cette porte que le FN pourrait entrer au conseil général.
Alors, tous les autres candidats disent vouloir voler au secours de la Bastide. A tel point que quatre binômes s’y présentent. Le sortant, seul socialiste soutenu par le Parti radical de gauche (PRG), sait qu’ici il joue gros. Il sera concurrencé par une liste citoyenne, menée par Stéphane Bobin, qui fait campagne contre l’abstention.
«Sidérante». La candidate de la gauche «alternative» est moins optimiste. Habitante de Beaune-les-Mines, elle constate : «Les réalités ici sont différentes, mais se traduisent de la même façon, une abstention sidérante et un FN qui monte.» A droite, Béramdane Amrouche, issu des quartiers, espère créer la surprise : «Oui, il y a eu des promesses non tenues, mais il y a aussi un désintérêt des jeunes pour la citoyenneté. Ici, je veux rappeler chacun à ses responsabilités.»