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Libération
Analyse

L’exécutif rate le virage à gauche

Hollande laisse passer l’occasion de donner un second souffle à son quinquennat.
publié le 5 mars 2015 à 21h26

Voilà Manuel Valls au pied du mur. En déclarant en janvier que s'était imposé en France «un apartheid territorial, social et ethnique», le Premier ministre n'a pas fait que créer une polémique sur le sens desmots, il s'est mis dans une situation presque impossible : proposer une réponse politique à la hauteur de son spectaculaire constat. Il va lui falloir beaucoup de talent pour convaincre non seulement sa majorité mais aussi les habitants des quartiers concernés que son gouvernement a pris l'exacte mesure de cette ségrégation économique et politique dont s'est trop longtemps accoutumée notre République. Vendredi soir, après l'annonce de son paquet de mesures «pour la citoyenneté et l'égalité», le sentiment d'une occasion manquée risque de dominer.

Cadre. François Hollande et Manuel Valls avaient pourtant une fenêtre historique pour faire preuve d'audace. Et donner à cette seconde moitié de quinquennat un sens et une ambition. Et donc de créer les conditions d'un possible rassemblement de la gauche pour le lancement de la course présidentielle. Après le souffle de sidération qui a pétrifié tout un pays, le double attentat du mois de janvier avait créé les conditions politiques d'une rupture : tout était maintenant possible puisque l'impensable s'était passé. A la gauche du PS, on a espéré que Hollande allait profiter du moment pour assouplir (un peu) le carcan de sa politique économique et afficher de nouvelles priorités plus conformes à l'ADN de sa majorité. Il n'en sera rien. A l'Elysée, on explique que le cadre a été fixé. Et qu'il n'est pas question d'en changer. Hollande est non seulement convaincu que sa politique de baisse de charges et de réduction de la dépense publique finira bien par produire des résultats sur le front du chômage, mais surtout qu'il n'y a rien de pire que de changer de politique économique en cours de route. L'accès à l'emploi restant, à ses yeux, le meilleur moyen de sortir de la misère sociale, la réponse du gouvernement au 11 janvier devra donc se passer d'argent public. Le problème est qu'on n'a pas encore inventé le moyen génial de renforcer les services publics dans ces quartiers déshérités, sans augmenter la présence sur le terrain de fonctionnaires ou de médiateurs sociaux…

Bien sûr, le gouvernement pourra toujours arguer que l'ambition en politique, même à gauche, n'est pas nécessairement indexée au niveau de dépense publique. Bien sûr, il pourra défendre que la refonte des conditions d'attribution du logement social dans les quartiers pauvres, le renforcement de la loi SRU, le durcissement de la carte scolaire, ou encore la création d'un service civique universel… ne sont pas des mesurettes de circonstance. Certes. Mais on ne voit pas très bien comment, à elles seules, elles pourront répondre à l'immense défi qu'est la«refondation du lien à la République et à la citoyenneté», pour reprendre les mots de Matignon.

Chantier.Hollande aurait pu compenser cette absence de moyens en lançant un vaste chantier de modernisation de notre vieille République. Mais à l'occasion de sa conférence de presse du mois de février, le chef de l'Etat a pris grand soin de fermer la porte à toute évolution possible. Un aménagement de la loi de 1905 pour organiser le financement de la construction de mosquées sans l'aide de pays étrangers ? L'expérimentation d'une forme de discrimination positive ? Le droit de vote des étrangers aux élections locales ? Des mesures pour améliorer le rapport conflictuel entre la police et les habitants des quartiers ? Rien de tout cela ne sera engagé. Comme si, avec son «apartheid», Valls s'était d'abord payé de mot.