Voilà qui ne va pas arranger les relations entre le Front national et l'Union européenne. Le président du Parlement européen, Martin Schultz, a saisi lundi l'Office européen de lutte antifraude (Olaf) au sujet d'éventuelles irrégularités concernant les assistants des eurodéputés FN. Révélée lundi soir par le Monde, l'information a été confirmée dans la foulée par un communiqué du Parlement européen. Une histoire embarrassante pour le Front national, accusé de financer certains de ses cadres permanents sur fonds européen.
«Des éléments parlants»
C’est le nouvel organigramme du parti, dévoilé le mois dernier, qui a mis la puce à l’oreille de l’administration européenne. Celle-ci y a constaté la présence de vingt personnes faisant par ailleurs office d’assistants pour certains des 23 eurodéputés FN. Quatre de ces assistants ont le statut d’«accrédité», supposant une présence soutenue dans les locaux du Parlement à Strasbourg ou à Bruxelles; les seize autres sont des assistants «locaux», censés travailler dans la circonscription d’élection de leur eurodéputé respectif. Tous sont rémunérés sur fonds européens.
Problème : l' implication des assistants frontistes sur les dossiers européens laisserait à désirer. «Selon les statuts des députés européens, un assistant payé par le Parlement doit travailler sur des tâches directement liées au Parlement, indique-t-on du côté de l'institution. Il peut les cumuler avec des fonctions dans son parti s'il n'a qu'un contrat à mi-temps, par exemple. Or, quand on regarde les salaires des assistants du Front National, on a bien du mal à croire qu'il ne s'agisse que de mi-temps. Les services du Parlement ont trouvé des éléments assez parlants pour alerter le président».
«Grande échelle»
Un tel système, s'il était avéré, ne serait pas inédit en soi. «C'est une situation qui se présentait très souvent, assure Gérard Onesta, ancien eurodéputé EELV et ex-vice-président du Parlement européen. Ces dernières années, nous avions d'ailleurs nettoyé les écuries d'Augias en posant quelques règles, et notamment en instaurant une grille des salaires pour les assistants». Pour l'ancien eurodéputé PS Liem Hoang-Ngoc, «c'est clair : les assistants accrédités à Bruxelles doivent avoir leurs fesses posées au Parlement européen et pas ailleurs. Mais s'ils font un procès au FN là-dessus, il faut qu'ils tapent sur tout le monde».
Au Parlement européen, on reconnaît qu'«il y a eu et qu'il y aura encore des cas de députés tombant dans ce genre d'abus. Mais dans le cas du Front National, on est sur une si grande échelle que cela semble être quelque chose de systématique, et qu'on pourrait parler de fraude au budget européen». Les salaires cumulés des assistants en question représenteraient 1,5 million d'euros par an, soit 7,5 millions d'euros sur les cinq ans de la mandature en cours.
Parmi eux figurent deux conseillers spéciaux de Marine Le Pen, la directrice de cabinet de celle-ci, le directeur de cabinet de Florian Philippot ou encore le majordome de Jean-Marie Le Pen. Dix de ces personnes ont par ailleurs indiqué, comme adresse d’exécution de leur contrat, celle du Front National, à Nanterre, plutôt que Strasbourg, Bruxelles ou la circonscription d’élection de leur eurodéputé respectif. Tel est également le cas de neuf autres assistants locaux qui, n’apparaissant pas dans l’organigramme du parti, ne sont cependant pas visés par la procédure européenne. Celle-ci pourrait aboutir à une demande de recouvrement des salaires payés jusqu’ici aux assistants concernés.
«Acharnement politique»
Et ce n'est peut-être pas tout. S'agissant de ressortissants français, Martin Schultz a également adressé un courrier à la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Il s'y engage «à transmettre tout document aux autorités compétentes en France, qui permettrait de vérifier si cette utilisation de l'argent public européen ne contrevient pas aux lois de la République française». La justice française pourrait ainsi décider d'ouvrir elle-même une procédure, si elle jugeait douteux ce mode de financement. Du côté du Parlement européen, on s'étonne toutefois que le dossier ait été révélé à la presse - une fuite dont l'origine serait, assure-t-on, à Paris plutôt qu'à Strasbourg.
De leur côté, mardi matin, les cadres du Front National ont entamé l'air du complot et de la persécution politique. «M. Schulz est un militant politique, a jugé Marine Le Pen sur France Info. Lors des Européennes, il avait fait un certain nombre de meetings contre le Front national. Il a appliqué à la lettre les ordres de M. Valls, qui, hier, expliquait qu'il fallait que les élites se mobilisent contre le Front national. C'est de l'acharnement politique évidemment, en pleine période électorale». Le vice-président du FN Florian Philippot a évoqué sur Twitter une «affaire bidon», ajoutant : «Dans le fond, Schultz a raison. Nos assistants ne travaillent pas pour l'Union Européenne mais contre elle !». En réponse, le président du Parlement européen a présenté son action comme «purement administratives» : «On ne peut pas être payé par le Parlement européen et travailler pour un parti», a-t-il résumé.