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Face au Front national, le canton d’Arles voit rouge

L’extrême droite, qui a peu mobilisé lundi dans la ville communiste du Sud-Est, affrontera aux départementales une gauche rassemblée, mais sans enthousiasme.
Réunion publique du FN, lundi, à Arles. (Photo Lionel Roux)
publié le 18 mars 2015 à 19h46

Port-Saint-Louis-du-Rhône, mardi, 18 heures. L’extrême sud-est du canton d’Arles, l’un des plus vastes de France depuis son extension à tout le parc naturel régional de Camargue. Les sympathisants affluent à la salle des fêtes Marcel-Pagnol. Parents accompagnés d’enfants, camarades historiques, jeunes en survêt. Le binôme Aurore Raoux (sans étiquette)-Nicolas Koukas (PCF), seul en lice à gauche dans le canton, est ici chez lui. Aux dernières municipales, PCF et divers gauche se sont dès le premier tour partagé 90% des voix saint-louisiennes. On se retrouve, bavarde. Enfin, l’ex-maire communiste Jean-Marc Charrier monte à la tribune et appelle les candidats sur scène. Musique. Hourras. Projos colorés. Et même : canons à fumée qui à chaque entrée crachent leur panache, régalant les deux cents personnes venues soutenir le duo. Baptême d’une nouvelle génération : bien qu’à peine sexagénaires, les conseillers généraux sortants, Jean-Marc Charrier et Hervé Schiavetti, ont choisi de passer le relais. Aurore Raoux, professeure des écoles, chargée durant cinq ans de la vie associative à Port-Saint-Louis, a 38 ans. Nicolas Koukas, conseiller municipal d’Arles depuis quatorze ans déjà, fils d’immigrés grecs, 39. Les panaches de fumée se déchaînent, les hourras redoublent : c’est à eux.

Déclivité. La veille, à la même heure, le FN s'est réuni. Plus discrètement. L'Atrium : chez les Romains, c'était la pièce de la maison ouverte aux hôtes et aux visiteurs ; à Arles, c'est le nom d'un hôtel à la fois central et coupé des rues les plus passantes par une déclivité qui le relègue un rien à l'écart. Dans le hall, les candidats Jean-Pierre Magini et Valérie Villanove reçoivent trois cadres frontistes venus les soutenir : Louis Aliot, vice-président du parti et compagnon de Marine Le Pen, Valérie Laupies, adversaire de Michel Vauzelle aux législatives de 2012, et Frédéric Laupies, son mari, candidat à Châteaurenard - les responsabilités au FN ont toujours été une affaire de famille.

Un car de touristes japonais arrive. L'espace de quelques secondes, l'extrême droite et l'Extrême-Orient se croisent. Les hôtesses aiguillent ce joli monde, les Japonais vers l'ascenseur, les frontistes vers une pièce au sous-sol. Les regards sont fuyants, le silence lourd, les visages gênés d'être vus là. Chacun scrute, mouline, se demande. Qui est groom de l'hôtel ? Groom du FN ? Journaliste ? Militant ? Hormis quelques sympathisants largement sexagénaires, les chaises capitonnées de velours rouge sont vides. Si la dédiabolisation est en route, il lui reste du chemin à faire. «Nous ne faisons pas de réunion publique parce que ça ne marche pas, confesse Valérie Laupies. Les gens ne viennent pas. Il y a toujours un œil de Moscou qui traîne, on ne peut pas être tranquilles.» Ajoutant : «On n'est pas en démocratie.» Laquelle serait donc ce régime où les réunions publiques pourraient en toute liberté… ne pas l'être tout à fait.

Tirade. L'ambiance est virile, Valérie Laupies à l'aise, Valérie Villanove moins - on l'oublierait presque, perdue là-bas à l'extrémité de la longue table. Elle ne dira pas un mot de la séance. Optimisme général, constat unanime d'une ferveur électorale que le vide de la salle peine à illustrer. Déroulé des grandes propositions du binôme Magini-Villanove, les mêmes que celles entendues partout dans la bouche des cadres bleu Marine, à coups de caméras de surveillance dans les collèges, de chasse aux fraudeurs au RSA, de lutte contre «le voile dans les crèches» et de suppressions de subventions aux «associations fictives» - la liste n'est pas longue et la surprise viendrait plutôt de là : rien d'autre que le déjà-su.

«On nous reproche de ne pas suffisamment nous focaliser sur les enjeux locaux, concède Louis Aliot, qui sent que le bât blesse côté détails et prise en compte des réalités du territoire. Mais pourquoi faudrait-il faire l'impasse sur les enjeux nationaux, alors que les Français sont en colère ?» La vérité, Stéphane Ravier, le nouveau maire FN des XIIIe et XIVe arrondissements de Marseille, l'a dite crûment : les voix sont là, il n'y a plus qu'à se baisser pour les ramasser. Encouragé par la vingtaine d'auditeurs qui se dégèlent enfin, Aliot se lance dans une tirade rigolarde sur les bienfaits de la campagne anti-FN de Manuel Valls : «C'est formidable, vous avez remarqué ? Plus il s'énerve, plus nous engrangeons. Faut le secouer un peu au début pour qu'il s'agite. Alors il devient rouge écarlate, il crispe le visage et là, c'est parti, on engrange.» Un dernier inventaire de statistiques triomphales : score annoncé du FN chez les jeunes, chez les ouvriers, chez les employés. «Ne reste qu'une catégorie rétive, dit souriant Aliot. Les bacs-plus-plus, les trop intelligents quoi. Ceux qui nous ont menés là.» Et la séance est levée.

Vide de la salle et du programme, plein magique de voix : comme partout, le Rassemblement bleu Marine croit en sa flamme. Avec cet atout supplémentaire à Arles que le candidat UMP le plus en vue, Roland Chassain, maire bientôt septuagénaire des Saintes-Maries-de-la-Mer, s'est distingué aux dernières législatives en devenant le seul de France à se désister au second tour au profit du FN. Sommé à l'époque de démissionner de l'UMP, Chassain n'en a rien fait. Et se représente aujourd'hui en toute quiétude, avec une investiture UMP intacte. Seulement carbonisé sur les bords par deux affaires récentes : soupçons de fraude aux dernières municipales, où des observateurs se sont étonnés de dénombrer aux Saintes-Maries 400 électeurs de plus que le nombre d'habitants - les flamants roses, ont raillé les mauvaises langues ; puis récemment annulation par la justice, pour «irrégularités», du contrat par lequel les Saintes-Maries déléguaient la gestion de leurs arènes à une société privée.

A gauche, pendant ce temps, dans la ville d'Arles tenue depuis trois mandats par le communiste Hervé Schiavetti, on affiche la sérénité. Et refuse de faire à l'extrême droite l'honneur d'une réelle inquiétude. «Le principal ennemi, ce ne sera pas le FN. Ce sera l'abstention.» Les choses auraient pu se présenter moins bien : en annonçant sans concertation préalable la candidature de Nicolas Koukas et Aurore Raoux, le PCF a déclenché il y a deux mois les foudres du PS. Mis devant le fait accompli, le candidat socialiste pressenti, David Grzyb, battu aux cantonales de 2011 - où il existait déjà deux listes séparées, rappelle-t-on côté communiste - s'est résigné à jeter l'éponge, laissant Koukas et Raoux seuls en lice à gauche. Un «retrait responsable, qui ne veut pas dire soutien», souligne Grzyb, pointant le positionnement insuffisamment clair selon lui du binôme quant à l'inoxydable Guérini, dont l'ombre continue de plomber tout renouveau à gauche dans les Bouches-du-Rhône : «Depuis combien de temps le Grand Sud n'est-il plus représenté par une vraie parole politique ? Depuis quand la région n'a-t-elle pas donné naissance à un vrai ministre important, un peu doué d'une vision globale, capable d'affirmer l'importance du développement de Marseille pour la région entière, au-delà des raisonnements à court terme et des calculs égoïstes qui sont souvent ceux des communes des environs ?»

Provençale. A Port-Saint-Louis-du-Rhône, Nicolas Koukas a entamé son discours. Il remercie Aurore Raoux, dit son plaisir et sa «chance» d'être à ses côtés. Salue les projets financés par le conseil général pendant le mandat précédent : réfection de nombreuses avenues, aménagement du quai de la Libération, de la nouvelle capitainerie, du futur collège Robespierre, de la nouvelle crèche. Promet des mesures concrètes rapides : réouverture de la ligne ferroviaire Miramas-Port-Saint-Louis ; doublement des lignes de bus pour rompre l'isolement de la commune ; soutien au démarrage de l'ostréiculture locale ; création d'un label «made in Camargue» ; poursuite des travaux d'aménagement des berges du Rhône pour lutter contre les inondations. Enfin, il en vient au FN et à ses électeurs : «Des gens qui souffrent, et qui se trompent de colère.» Occasion de rappeler les mesures prises par le FN dans les villes frontistes : «Suppression de la cantine gratuite pour les plus démunis. Suppression de la garderie gratuite aux chômeurs. Suppression des subventions au musée de la Résistance et de la Déportation. Le FN c'est ça. Le FN détruit.»

Quelques minutes plus tard, c'est au tour d'Aurore Raoux. «Ce sera mon premier vrai meeting», avouait-elle humblement la veille, prouvant par ces seuls mots, si besoin était, la pertinence du nouveau mode de scrutin imposant la parité absolue dans les candidatures. Elle s'élance, virevolte, harangue, égrène elle aussi une série de mesures à venir, prononce savoureusement deux fois «Schiavetti» à la provençale, faisant sourire une salle acquise. Termine en se réclamant d'une politique «généreuse, comme le sont les hommes et les femmes de ce canton». Ovation. Panaches de fumée à noyer le plafond. Et cette fois, la Marseillaise - la Marseillaise ! - qui éclate à pleins tubes. La salle entière est debout, émue. Sincérité de deux voix jeunes, qui tranchent. Non, il n'est pas vrai qu'il ne serait plus possible de faire de la politique, de la vraie.