INTOX. La France, championne du numérique ? C'est en tout cas ce qu'a l'air de croire Axelle Lemaire. La secrétaire d'Etat en charge du Numérique depuis avril 2014 était l'invitée de l'émission On n'est pas couché samedi soir. L'occasion de caser quelques éléments de langage sur l'open data et les start-up, et de vanter les performances de la France dans le numérique. Et tant pis si les chiffres avancés par Aymeric Caron ne lui donnent pas vraiment raison. Le chroniqueur de l'émission de Laurent Ruquier l'interpelle d'abord sur le mauvais classement européen de la France en la matière. «Pour l'instant, on est d'accord, on est un petit peu à la traîne sur beaucoup beaucoup de sujets en ce qui concerne le numérique», avance-t-il. La secrétaire d'Etat tique, avant de répliquer :
«Nous ne sommes pas à la traîne en matière de numérique.
− Ah si ! Il y a le rapport de la Commission européenne qui classe la France 14e sur 28 pays dans tous les secteurs du numérique confondus.
− Il y a d'autres rapports, y compris très récents, qui classent la France première sur certains domaines.»
Aymeric Caron détaille les piètres performances de la France, et notamment des PME, qui ne seraient que 10% à se servir d’Internet. Avant d’enchaîner sur le peu d’intérêt que porteraient les Français aux réseaux sociaux :
«Ce qui est curieux, c'est qu'il y a 46% des utilisateurs d'Internet en France seulement qui sont connectés aux réseaux sociaux, ce qui est très très peu. C'est la moitié de ceux qui utilisent Internet.
− C’est plutôt plus élevé par rapport aux autres européens, et chez les jeunes c’est 90-95%.
− C'est fou on n'a pas les mêmes chiffres du tout […]. C'est le taux le plus faible de toute l'Union européenne, puisque la moyenne serait à 58%.»
Revoir la première séquence à partir de 19’26'', et la seconde à partir de 22’17'' :
DÉSINTOX. Axelle Lemaire a beau reconnaître qu'elle «n'a pas appris [s]es chiffres par cœur» avant de participer à l'émission, on a du mal à croire que ceux avancés par Aymeric Caron ne lui disent rien. Ils sont tirés d'une très sérieuse étude de la Commission européenne, parue le mois dernier, qui compare les performances numériques des pays de l'Union européenne. Résultat : la France se classe bien au 14e rang européen (sur 28 pays donc), une performance jugée «moyenne» par la Commission.
N'en déplaise à Axelle Lemaire, cette étude dresse un bilan plus que mitigé des performances françaises, notamment en ce qui concerne la qualité de la connexion Internet (19e rang, en chute de 5 places par rapport à 2014), ou la consommation d'informations en ligne (27e rang). Aymeric Caron aurait d'ailleurs pu utiliser un de ces exemples plutôt que celui des PME, où la France n'est que légèrement en dessous de la moyenne européenne (11% contre 15%). Le seul domaine où la France arrive numéro un : l'utilisation de la vidéo à la demande (77% contre 39% pour la moyenne européenne) et du replay (50% contre 13%).
Difficile de trouver les autres rapports qui «classent la France première sur certains domaines» dont parle Axelle Lemaire. A part peut-être pour les services publics en ligne, où la France se démarque clairement (en bien cette fois). D'après une étude de l'ONU datée de 2014, la France arrive en tête du classement européen (et au même mondial) en ce qui concerne les services en ligne de l'administration, notamment via le site service-public.fr.
Concernant l'utilisation des réseaux sociaux, évoquée dans la deuxième partie de la conversation entre Lemaire et Caron, «la France est à la traîne», dit l'étude de la Commission européenne. «Le pourcentage des utilisateurs français de l'Internet qui utilisent les réseaux sociaux (46% contre une moyenne européenne de 58%) est le plus faible de tous les pays de l'UE», souligne le document. La France arrive à la 28e et dernière place.
Un résultat corroboré par une étude du Crédoc de novembre dernier, indiquant que 48% des Français (de 12 ans et plus) avaient «participé» à des réseaux sociaux au cours de l'année écoulée. Cette proportion s'élève à 77% chez les 12-17 ans et à 88% chez les 18-24 ans (en dessous donc des «90-95%» d'Axelle Lemaire).
Visiblement surprise par le chiffre avancé par Aymeric Caron, la secrétaire d'Etat en charge du Numérique avait promis de répondre au chroniqueur sur Twitter le lendemain de l'émission. Ce qu'elle a fait (même si Aymeric Caron n'a pas de compte Twitter), en renvoyant vers une étude de l'Argus de la presse, réalisée en collaboration avec Ipsos / Steria.
Message à Aymeric Caron (s'il me lit ;-): des chiffres un peu + élevés que ceux de la Commission europ http://t.co/i29DN47cTy @ONPCofficiel
— Axelle Lemaire (@axellelemaire) March 15, 2015
«Huit Français sur dix utilisent au moins un réseau social», dit l'enquête, qui ne détaille par ailleurs pas la proportion de jeunes inscrits sur les réseaux sociaux. Une conclusion pas forcément très fiable étant donné qu'elle a été réalisée par Internet (excluant donc d'emblée les non-internautes), le tout sur un échantillon assez faible (1 005 personnes). L'étude de la Commission concerne certes aussi les utilisateurs d'Internet, mais de manière plus large, à savoir ceux qui se sont connectés dans les trois derniers mois. Surtout, l'étude citée par la secrétaire d'Etat concerne uniquement la France, et ne permet donc pas de faire de comparaison internationale.