Dimanche soir, Marine Le Pen va pouvoir parader et plastronner devant les micros et les caméras. Si le Front national est en tête, la présidente de la formation d’extrême droite pourra marteler que son parti est bien devenu le premier parti de France. Si le Front national est devancé in extremis par l’alliance UDI-UMP, elle célébrera l’indéniable percée de son parti. Marine Le Pen est toujours très satisfaite d’elle-même. Dimanche 22 mars et dimanche 29 mars, elle aura l’occasion de s’auto-congratuler et de se ceindre la tête de cette couronne de lauriers dont elle fait son couvre-chef rêvé. Jean-Marie Le Pen a ressuscité et enraciné l’extrême droite en France. Marine Le Pen l’a portée plus haut qu’elle n’a jamais été dans l’histoire électorale de ce pays. En banalisant méthodiquement le Front national, en le popularisant, en détournant et en annexant audacieusement les recettes économiques de la gauche du début des années 70, Marine Le Pen a transformé l’extrême droite, jusqu’alors sulfureuse, en un puissant parti plébéien, protestataire, démagogique, archaïque mais plébiscité par la France qui souffre, doute et maudit ses dirigeants. Marine Le Pen a jusqu’ici bien servi l’extrême droite.
Il n’est pourtant pas évident qu’elle puisse continuer à rester longtemps l’atout majeur de son parti. L’année 2015 peut même marquer son apogée avant son déclin. Certes, les élections départementales seront sinon un triomphe, du moins une prouesse. Les élections régionales répéteront, amplifieront peut-être en décembre cette ascension théâtrale. A la fin de l’année, Marine Le Pen aura gagné toutes les élections intermédiaires (municipales, européennes, départementales, régionales) et aura peut-être conquis elle-même la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, symbole de la France malheureuse. Elle sera devenue la figure nationale de la protestation, de la vindicte et de la rupture. Marine Le Pen a surpassé son père et a éclipsé Jean-Luc Mélenchon.
A partir de l’année prochaine, le paysage, les enjeux et les critères du succès vont cependant se métamorphoser. On entrera de plain-pied dans la séquence présidentielle. Il ne s’agira plus de dénoncer, mais de convaincre. Il faudra afficher un profil non pas d’imprécateur mais de consul, non pas de protestataire mais de présidentiable, non pas de démagogue mais de monarque républicain plausible. C’est à ce moment-là que Marine Le Pen, atout maître de l’extrême droite, peut devenir le handicap du Front national. Son image personnelle demeure, en effet, très inférieure au niveau électoral qu’a atteint son parti. Depuis quelques mois, alors même que l’extrême droite n’en finissait pas de monter dans les sondages, la personnalité de Marine Le Pen inquiétait beaucoup plus qu’elle ne séduisait. Les Français ne lui reconnaissent pas jusqu’ici l’envergure d’un chef de l’Etat crédible. Ils enregistrent ses qualités de combattante, d’opposante, ils ne la voient pas capable d’exercer le pouvoir, y compris chez beaucoup de ceux qui déclarent voter pour le Front national. S’il s’agit de dénoncer, de tempêter, d’accabler les puissants, Marine Le Pen apparaît comme la femme de la situation. S’il est question de tenir les rênes, ô combien rétives de la France, elle n’est pas ou pas encore prise en considération.
La course vers le palais de l’Elysée ne ressemble ni à un sprint, ni même à un 400 mètres haies, mais à un long, exigeant et ingrat marathon. Marine Le Pen n’a aucune expérience du pouvoir. Elle est intelligente, énergique et éloquente, mais brutale, simpliste et peu cultivée : inquiétante. Elle possède un aplomb précieux, mais elle a des idées courtes qui apparaîtront de plus en plus au grand jour. Elle n’a aucune expérience internationale, mais une attirance suspecte pour des régimes autoritaires (Poutine, Assad). Elle n’a aucune formation économique à une époque où il est impossible de s’en passer, même si elle ne garantit rien. Elle défend justement dans ce domaine comme dans à peu près tout des idées d’un autre âge. Redouter l’étranger, dénoncer le marché, sortir de l’euro, sortir de l’Europe, se barricader derrière des frontières et des exceptions nationales, revenir à un dirigisme obsolète, mettre l’économie sous tutelle, abaisser l’âge de la retraite, distribuer sans compter, on est plus près de feu le programme commun de la gauche (1972) que du monde d’aujourd’hui. Marine Le Pen propose de revenir à la France d’avant les crises. C’est une absurde fuite vers le passé, un déni de réalité, l’aveu d’une absence de propositions viables. Une politique anachronique pour une candidate mal préparée.