Le président sortant du conseil général de l'Aisne n'a rien vu venir. Le matin même du scrutin, il jugeait impossible que «le FN prenne le département. Il faudrait qu'il soit majoritaire dans onze cantons sur vingt et un», déclarait le socialiste Yves Daudigny, battu sans appel. Mais hier soir, le parti de Marine Le Pen n'était plus qu'à un jet de pierre de l'hôtel du département. Le FN a décroché un binome élu dès le premier tour et sera au second dans les vingt cantons restants. Dans seize cantons, il arrive largement en tête devant ses concurrents de gauche et de droite. Avec un taux de participation de 53%. Dans sept cas, il se présente dans des triangulaires et parfois face à deux adversaires de droite, UMP et UDI. Cinq duels l'opposeront à la droite et 8 autres, plus classiques, contre la gauche. Dans les salons de la préfecture, les élus socialistes sont sonnés. Et la droite semble dépassée par un tel raz de marée.
Illusion. Aux européennes, en mai 2014, Marine Le Pen y a réalisé son plus gros score au niveau national : 40,5% des suffrages avec des pointes à 60% dans des communes rurales isolées. «A la présidentielle, dans le village de Coucy, Marine Le Pen a fait 59%», indique Stéphane François, professeur de sciences politiques originaire du département.
Vers la mi-mars, un sondage Odoxa publié par le Parisien créditait le FN de 41% d'intentions de vote avec un pic à 59% chez les ouvriers. Un jeune sur deux entre 25 et 34 ans envisageait de déposer un bulletin FN dans l'urne. La veille du scrutin, Hervé Muzart, patron du groupe UMP au conseil général, détenu par les socialistes depuis 1998, ne se faisait aucune illusion. «Les gens vont se lâcher, beaucoup trop facilement à mon goût. Et, le pire, c'est qu'ils en entraînent d'autres derrière eux. Tout cela finit par donner une très mauvaise image du département, qui n'en a vraiment pas besoin pour attirer les entreprises», se désole-t-il.
«Réaction». «Dans la vallée de l’Oise, les entreprises ferment les unes après les autres, explique Christian Crohem, le maire divers gauche de la quatrième ville du département. Nous avons vécu une véritable catastrophe industrielle. Les industries anciennes ont disparu sans que rien ne vienne les remplacer. A Tergnier, une bonneterie qui employait près de 1 000 personnes n’existe plus. Le taux de chômage dans ma commune atteint 16% et je vois arriver chaque jour les dossiers de surendettement sur mon bureau.»
Les difficultés économiques, les fins de mois difficiles à boucler, la disparition des services publics contribuent entre autres à expliquer le succès du parti d'extrême droite. «Les gens en ont ras-le-bol et le disent. C'est un vote de réaction», résume Christian Crohem.