Dès 20 heures ce dimanche, vous les entendrez en boucle sur les chaînes d’information ou les lirez sur les réseaux sociaux : les traditionnels «éléments de langage» de nos responsables politiques. Passage en revue — et explications — des phrases attendues ce soir dans le poste et sur vos fils.
«Nous sommes le premier parti de France !»
A qui la première place ? UMP et FN devraient se disputer ce titre, que le parti lepéniste arbore sur ses affiches depuis les dernières européennes. Les deux mouvements sont au coude-à-coude dans les sondages. Et même s’il se voit dépassé d’une courte marge, le FN revendiquera l’étiquette au motif que l’UMP est alliée, dans de nombreux cantons, avec l’UDI centriste. Pour le parti lepéniste, il s’agit de mettre l’accent sur l’excellente dynamique qui le porte depuis les municipales de l’an passé — et même depuis la dernière présidentielle. Mais aussi de souligner son éventuelle victoire sur l’UMP. Car ce qui est en jeu, au fond, n’est pas le titre de premier parti de France, mais bien celui de premier parti de l’opposition — donc du plus légitime à contester le pouvoir au PS.
En cas de score serré, la soirée risque de tourner à la querelle de chiffres. La droite et l’extrême droite revendiquant toutes deux la victoire. L’UMP fera valoir, à juste titre, que la nomenclature du ministère de l’Intérieur est trompeuse. Elle relève en effet que le FN présente 1 909 binômes de candidats tandis que l’UMP n’en présente que 1 594. Pour être honnête, il convient d’ajouter à ce total les centaines de candidats divers-droite qui se présentent avec le soutien du parti de Nicolas Sarkozy. Selon Brice Teinturier (Ipsos), l’alliance UMP-UDI totalise, avec cette correction, le même nombre de candidats. Il n’empêche : même s’il est légèrement derrière le bloc de droite, le FN restera fondé à se proclamer premier parti, loin devant l’UMP privée de ses alliés.
«Le rassemblement est en marche. Nicolas Sarkozy n’est là que depuis trois mois»
Rappelons-le, Sarkozy est censé être l’homme qui fait reculer le FN. Si la démonstration n’est pas faite, ses lieutenants expliqueront que l’ancien chef de l’Etat n’a pas encore eu le temps de donner toute la mesure de son grand rassemblement. Les sceptiques seront invités à attendre le congrès fondateur du nouveau parti, prévu le 30 mai prochain. Pour expliquer la contre-performance de leur chef, les sarkozystes devraient aussi faire valoir qu’il n’a pas été possible, en quelques semaines, d’effacer les effets désastreux de la guerre des chefs qui a sévi entre 2012 et 2014. Ce serait donc, en quelque sorte, la faute à François Fillon qui n’a pas eu l’élégance d’accepter docilement la triche des copéistes.
«Le premier parti de France, ce soir, c’est l’abstention»
Ce sera la première riposte des responsables de la majorité. Dans un scrutin où plus d'un électeur sur deux risque de bouder les urnes, les dirigeants socialistes mettront tout d'abord en avant cette France qui ne vote plus. Que ce soit par dégoût de la politique ou paresse électorale devant un enjeu — le renouvellement entier de conseils départementaux aux rôles mal connus — qui ne les passionne pas. A la gauche du PS, on mettra évidemment ces abstentionnistes sur le dos d'un François Hollande qui a «déçu» son camp. Et tout le monde les exhortera à se bouger dimanche prochain pour «faire barrage» au Front national.
«Nous sommes l’alternative à l’UMPS»
Il est rare qu'un cadre du FN intervienne sans placer ce petit néologisme, l'un des éléments de langage les plus constants chez le parti. Que signifie-t-il ? Que, du point de vue frontiste, UMP et PS représentent exactement la même chose, ou peu s'en faut ; que le clivage droite/gauche, vide de sens, s'efface derrière la bataille entre «nationaux» et «mondialistes». Son usage sera d'autant plus fréquent ce soir que le FN devrait se qualifier pour le second tour dans un grand nombre cantons — le plus souvent accompagné de l'UMP. Il cherchera donc, en suggérant une grande proximité entre celle-ci et le PS, à se poser en seule véritable alternative aux deux partis. Et à disqualifier l'idée d'un «front républicain» anti-FN, comme preuve de la collusion entre droite et gauche.
«Le peuple de gauche demande un changement de cap»
Signé un socialiste frondeur, un EELV (de ceux qui ne lorgnent pas un portefeuille ministériel) ou un communiste. Sur les plateaux télé, les représentants de la gauche critique à l'égard de la ligne économique et sociale du gouvernement ne manqueront pas de s'appuyer sur la raclée électorale annoncée pour le PS pour réclamer une inflexion. Un bémol à cet argument : l'alliance testée par EELV et le Front de gauche dans 45% des cantons, enregistrera-t-elle vraiment ce soir une percée à même de la poser en alternative de gauche au PS ? Difficile de le savoir dès ce soir car selon les étiquettes du ministère de l'Intérieur, ces binômes rouges-verts seront noyés dans les «divers gauche».
«Face à la menace FN, il est temps de rassembler la gauche»
C’est ce que fera valoir tout responsable socialiste, pressé de faire porter au Front de gauche et à EELV la responsabilité de l’effondrement de la gauche au premier tour, et des disqualifications des candidats PS au profit de duels UMP-FN (selon les estimations les plus pessimistes, la gauche pourrait être éliminée ce soir dans près d’un millier de cantons). Si ces vibrants appels à l’union visent au passage à culpabiliser les écologistes qui ont préféré tenter un tandem avec des composantes du Front de gauche, l’idée est de mobiliser l’électorat de gauche pour le ramener dans le giron socialiste au second tour. Et limiter la casse dans les cantons où le vote de gauche est encore possible. Au-delà, ce sera pour mettre au carré une gauche menacée de disparition aux prochaines régionales et d’élimination au premier tour de la présidentielle de 2017.
«Nous appelons les forces républicaines à faire barrage au FN»
Cette fois-ci, le casse-tête du «front républicain» sera moins compliqué qu'aux dernières municipales. Avec les règles des 12,5% des inscrits pour se qualifier au second tour, les triangulaires seront très rares. Mais en cas de duel «FN-UMP» au second tour, les consignes cathodiques des dirigeants socialistes seront claires : «On fait barrage à l'extrême droite.» Donc on vote à droite. Pas sûr que dans certains coins du pays, vu les déclarations très à droite de certains candidats UMP, les électeurs de gauche, déjà en retrait, aillent aider Nicolas Sarkozy et son parti à l'emporter. Au Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon a déjà demandé aux siens de «se mêler le moins possible du débat arrangé d'avance sur le front républicain, union des grenouilles et des moustiques pour se protéger du héron».
«L’UMP n’appelle à voter ni pour le FN ni pour le parti qui fait monter le FN. Non au FNPS !»
Ce soir, ce sera aussi le grand retour du «ni-ni». Le cas de figure est loin d'être majoritaire mais pour les quelques centaines de cantons dans lesquels la droite sera éliminée et qui verront s'affronter au second tour un frontiste et un candidat de gauche, les responsables UMP prendront soin de ne donner aucune consigne de vote. C'est du moins la ligne officielle que le parti de Nicolas Sarkozy a laborieusement fixée lorsque cette question s'était posée, début février, pour le second tour de la législative partielle du Doubs. Les invités UMP assureront, la main sur le cœur, que les électeurs ne suivent plus les consignes des états-majors, sont assez grands pour décider eux-mêmes, etc. Mais cette stratégie du «ni Front national-ni front républicain» continue de fait de diviser la droite. D'autant que celle-ci peut toujours compter, dans le cas de duels UMP-FN, sur le bon report des voix de gauche pour faire barrage à l'extrême droite.
«Nous réalisons une performance historique»
S’il est un scrutin qui a rarement souri au Front national, ce sont bien les départementales. Le mouvement ne compte pour l’instant qu’un seul élu à ce niveau. Une disette qui devrait prendre fin : crédité de 30% d’intentions de vote par la plupart des sondages, le parti devrait se qualifier pour le second tour dans de très nombreux cantons. Et il est presque assuré, à l’issue de celui-ci, de voir son nombre d’élus augmenter considérablement. Même s’il se trouve devancé en nombre de voix, même s’il ne conquiert aucun département, le FN aura réalisé une performance inédite dans son histoire — et ne manquera pas de le faire savoir.
«Nous ne changerons pas de cap. Nous sommes sur la bonne voie»
Peu importe l'ampleur de la sanction électorale de ce dimanche soir, le message du gouvernement sera : «On a entendu le message mais on continue la même politique.» Durant la campagne, Manuel Valls et ses ministres n'ont cessé de le répéter : «Nous sommes sur la bonne voie. Les résultats sont là.» Les responsables de la majorité vont donc insister sur la «pédagogie nécessaire» et les «réformes que demandent les Français». Dans l'espoir de convaincre leur électorat d'ici les prochaines échéances… régionales mais, surtout, la présidentielle de 2017.