Le Front national à la tête d'un département ? Ce serait «très difficile», «exceptionnel», avait tempéré Marine Le Pen avant le premier tour. En remporter deux est désormais une «hypothèse crédible», a jugé lundi la présidente du FN, citant l'Aisne et le Vaucluse. Le parti a réalisé deux de ses trois meilleurs scores dans ces départements - respectivement 38,7% et 37,4% des voix. Dans chacun, il a vu l'un de ses binômes élu dès le premier tour, et tous les autres se qualifier pour le second. De là à parler de gains assurés, il y a un pas - que le FN n'est pas certain de franchir.
Dans le Vaucluse, meilleure chance du FN, beaucoup pourrait dépendre d’un éventuel arrangement entre celui-ci et la Ligue du Sud, le parti personnel de Jacques Bompard, maire d’Orange et ex-frontiste. Avec un canton déjà en poche, il en faut huit autres au FN pour contrôler le département, sur les seize encore en jeu. Les discussions portent sur un éventuel désistement du FN dans une triangulaire l’opposant à la Ligue du Sud et au Parti socialiste ; en échange de quoi la Ligue pourrait offrir la victoire au FN à Orange, où un duel doit opposer les deux partis d’extrême droite. Les autres seconds tours dessinent un paysage très ouvert - et donnent corps à l’hypothèse d’une assemblée sans majorité absolue, où la droite devrait choisir entre PS et FN.
Premier round. Un tel scénario se profile aussi dans l'Aisne. «Le département est prenable, pas forcément gagnable», louvoyait lundi Franck Briffaud. Le maire FN de Villers-Cotterêts est presque certain de faire son entrée au conseil départemental dimanche prochain. Quatre ou cinq autres cantons, sur un total de vingt et un, sont à la portée du FN. Celui-ci pourrait donc miser sur une dizaine de conseillers. La gauche, toutes tendances confondues, en espère au moins quatorze. Quant à la droite, elle mise sur seize élus. S'ils se confirmaient, ces pronostics annoncent une situation brouillée. Même sans l'emporter, «le FN sera en position de faiseur de rois pour hisser la droite à la tête du département» , analyse, dépité, René Dosière, député divers gauche de la circonscription.
Le Var, enfin, semble prometteur pour le FN, qui y a réalisé son meilleur score (38,9%). Présent dans tous les seconds tours, le parti frontiste paraît toutefois en moins bonne position que la droite pour remporter le département. Reste, pour tous les cas, une grande incertitude liée à des facteurs peu ou pas prévisibles - participation, attitude des électeurs de partis éliminés au premier tour. Au total, 58% des 1 909 binômes FN seront toujours en lice dimanche - 230 d’entre eux étant sortis en tête du premier round.
Avec ses 5,1 millions de voix au niveau national, le FN a nettement élargi son assiette par rapport aux dernières européennes (4,7 millions de bulletins), alors que Paris et Lyon ne votaient pas, a souligné Marine Le Pen. Incontestable, le succès du Front a pourtant été terni par une défaite symbolique - bien qu’il la conteste : la perte du titre de «premier parti de France». Récompense symbolique pour les militants, cette étiquette devait surtout acter l’inversion des rapports de forces à droite. Il est donc d’autant plus douloureux pour le FN de la céder au bloc UMP - UDI. Et de laisser Nicolas Sarkozy endosser son rôle fétiche, celui de meilleur antidote à l’extrême droite.
«Grignotage». Le FN ne manque pourtant pas de motifs de consolation. «Dimanche prochain, le plus important pour le FN ne sera pas forcément de gagner un département ou de ramasser des cantons à la pelle,juge Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques (Fondation Jean-Jaurès), mais avant tout de poursuivre le travail de maillage qui transforme profondément la nature du parti. Avec beaucoup de candidats jeunes, beaucoup de femmes en raison du mode de scrutin paritaire, une plus grande place pour les candidats d'origine modeste.» Pour le chercheur, il serait trompeur de voir dans les résultats de dimanche un revers du FN. «Dans l'histoire électorale de ce parti, on n'a jamais observé d'explosion, de saut qualitatif gigantesque. Le FN progresse plutôt par grignotage, en stabilisant progressivement son socle électoral. Il fidélise, il s'enracine.» Symboles de cette incrustation silencieuse : les scores en hausse, quoiqu'inférieurs à la moyenne nationale, obtenus dans des zones traditionnellement peu propices au FN - Limousin, Ouest, Sud-Ouest. Pour le politologue Joël Gombin, plus qu'à d'éclatants progrès du FN, on assiste à «un rééquilibrage de la géographie et probablement de la sociologie» de son électorat, en voie d'uniformisation au niveau national. Un processus peu spectaculaire, mais par lequel le FN entre progressivement dans une autre dimension.