Faire ouvertement preuve de racisme sur les réseaux sociaux a-t-il un effet dans les isoloirs? Alors que le Front national a recueilli un quart des suffrages exprimés au premier tour des départementales (bien qu’une lecture nationale du scrutin soit hasardeuse), il semble difficile d’affirmer qu’il y a eu une prime significative au racisme dans les urnes. Comme il serait difficile de prétendre que les dérapages des candidats (1) les ont handicapés.
Sur les 92 candidats listés par Libération en raison de leurs propos racistes, islamophobes, antisémites ou homophobes, 37 ont été éliminés au premier tour, soit un peu plus du tiers. Ce chiffre est conforme à la moyenne nationale du FN, dont 57% des binômes se sont maintenus sur l'ensemble du territoire. Le fait que certains membres du parti, ceux présents sur Facebook et qui expriment publiquement leur haine de l'autre sur un profil ouvert, aient été identifiés dans les médias n'a donc pas empêché les électeurs de se tourner largement vers le parti d'extrême droite au premier tour des départementales.
C'est le cas, par exemple, du binôme Aimé Deléglise-Chantal Clamer, du canton de Pamiers, dans l'Ariège, arrivé deuxième avec 33,54% des voix. Adepte des blagues racistes, Aimé Deléglise avait été épinglé pour avoir qualifié la ministre de la Justice, Christiane Taubira, de «banane sur pattes». Chantal Clamer avait, elle, pesté contre des «sales gouines vraiment moches», dont seuls voudraient «les blacks et les rebeus». Dans le canton de Narbonne (Aude), Fabien Rouquette est quant à lui arrivé en tête des suffrages (30,94%). Cet été, sur Facebook, il avait écrit: «Socialistes, communistes, musulmans! Faites un geste pour la terre: suicidez-vous!»
Des résultats parfois supérieurs à la moyenne du FN
Une première piste de lecture des résultats consiste à rapporter les scores obtenus par ces candidats à la moyenne FN dans leurs départements. Trois cas de figure se présentent: le candidat que nous avons épinglé obtient un score situé peu ou prou dans la moyenne départementale du FN; le candidat obtient un score supérieur à la moyenne départementale; le candidat obtient un score inférieur à la moyenne du FN dans son département.
Le premier cas est fréquent: on le retrouve par exemple dans l'Ain, la Charente-Maritime, en Ardèche, en Lozère, dans l'Essonne, en Hautes-Pyrénées, dans les Hauts-de-Seine ou encore dans le Vaucluse. On rencontre également assez souvent le deuxième cas. Dans les Yvelines, un suppléant, Philippe Chevrier, dépasse ainsi de près de 7 points la moyenne départementale. Ce secrétaire départemental du FN avait pourtant déclaré, d'après Claire Checcaglini qui rapportait ses propos dans son livre Bienvenue au Front! à propos de la journaliste Caroline Fourest: «Quand est-ce qu'on se l'emmène la Forrest? On la met à poil, on l'attache à un arbre, on se la prend, on met des cagoules, on va avec la Fourest en forêt de Rambouillet et on la laisse.» Ce qui donc n'a pas l'air d'avoir ému les électeurs… Autre exemple en Corse-du-Sud, où Katia Sandri, qui comparait sur Facebook en novembre 2012 Christiane Taubira à un singe, a récolté 13,08% des voix (pour une moyenne FN de 8,25% sur l'ensemble du département).
Dans le Nord, les partages de commentaires racistes sur Facebook de Francis Boudrenghien («Le "niquetamère" est un animal en provenance du Maghreb. Là-bas, il meurt de faim car trop paresseux. Ici, bien nourri et logé gratuitement sans travailler, il se reproduit rapidement en milieu européen. La femme peut mettre bas entre 10 et 15 "niquetamères" dans sa vie.») ne l'ont pas empêché de dépasser la moyenne départementale de 8 points. Même cas de figure dans les Hautes-Alpes, où le raciste Jean-François Gaspard-Angéli offre au FN un de ses meilleurs scores locaux: 25,65% des voix, contre 8,89% pour le FN sur tout le département. En 2013, il publiait ce message sur Facebook: «Les Noirs ont 2 000 ans de retard sur les Blancs d'Occident! Les Arabes n'en sont pas loin… C'est comme cela, c'est l'histoire! Ce n'est pas pour cela que je ne les respecte pas! Bien au contraire, je respecte les Noirs, mais je leur en veux de ne pas avoir fait le nécessaire pour sortir du tribalisme!» Et on pourrait continuer des heures…
Le troisième cas de figure, celui où un candidat raciste obtient moins de voix que son parti, en moyenne, sur le département, existe aussi. Dans les Bouches-du-Rhône, le candidat Jérémie Piano, ancien membre d'un groupuscule identitaire et admirateur de Pétain, obtient un score 12 points en dessous de la moyenne FN sur tout le département (21,78 contre 33,51%). Le chanteur de charme antisémite Xavier Sainty n'a lui non plus pas convaincu: il a récolté 15,13% des voix contre 21,52% de moyenne FN dans l'Allier. En Haute-Marne, Alex Pellouard, qui parle régulièrement sur Facebook des «bicots» et des «bougnoules» et qui postait après les européennes: «25,4% pour le FN! Mais ils sont ou…? Mais ils sont ou…? Mais ils sont ou tous les bougnouls la la la la la…», est lui aussi plus de 10 points en dessous de la moyenne départementale (21,21% des voix contre une moyenne de 35,13%).
Un succès lié à l’implantation locale du Front
Difficile de dire, néanmoins, s'il y a une relation de cause à effet entre les propos racistes et les scores obtenus. D'autant que les électeurs peuvent aussi bien voter pour une personne raciste mais pas pour une personne homophobe, alors qu'elles sont membres du même parti. Exemple dans la Somme, où l'homophobe Céline Duquenne est 10 points en dessous de la moyenne départementale du FN: elle remporte 24,55% des suffrages contre 34,23% pour le FN sur le département. Mais Isabelle Fesquet, qui a elle tenu des propos racistes, obtient 39,33% des voix dans le même département. En 2014 sur Twitter, elle écrivait: «Les Français atteint de nombrilisme aigu sont des hypocrites et n'ont pas de couilles. C'est bien pour ça que la France est envahie. Les autres races, elles, sont unies. C'est ce qui fait leur force!»
En Dordogne, le cas est inversé: Hubert Bonnay passe au second tour avec un score de 30,58%, 10 points de plus que la moyenne du FN sur tout le département. Dans un autre binôme, son comparse Jérôme Moulinet est quant à lui éliminé. Il n'a obtenu que 15,67% des voix. La faute à ses prises de position? Dans un long texte intitulé «le cochon gaulois» publié sur Facebook, le candidat du canton de Périgueux énumère les raisons pour lesquels «oui», il est «raciste». Raciste envers qui? «Envers les étrangers.» Dans le premier cas, c'est la candidate la plus raciste qui a obtenu davantage de voix, dans le second, c'est le candidat le plus ouvertement raciste qui a été éliminé…
Autre piste de lecture: dans les départements acquis au FN, les candidats épinglés pour leurs propos se sont tous maintenus. Certains arrivent même en tête. Mais ils ont été largement éjectés des scrutins dans les départements où le FN a plus de mal à s’implanter.
Exemple dans le Gard, où sans surprise l'extrême droite a réalisé l'un de ses meilleurs scores (en tête avec 35,54% des voix). Trois candidats y avaient retenu l'attention des médias pour des sorties racistes. Celles-ci ont-elles ou non influencé les votes? Toujours est-il que les trois hommes seront présents au second tour des départementales, avec leur binôme, dimanche prochain. C'est le cas de Henri Brunis, dans le canton de Calvison, qui avait posté sur sa page Facebook un montage photo montrant des aliens avec une pancarte «Musulmans, restez chez vous» et comme légende: «Incroyable, il y a de l'intelligence sur Mars, la preuve». Au premier tour, il est arrivé en tête avec 35,15% des voix. Tout comme Nicolas Meizonne, à Vauvert, qui avait pointé du doigt les terroristes Kelkal, Merah, Nemmouche, Dekhar et Kouachi, pour affirmer que l'acte II de la guerre d'Algérie avait commencé.
Mais les candidats FN se font généralement éjecter des départements où la percée de l'extrême droite est moindre, particulièrement là où d'autres partis sont mieux implantés. En Ille-et-Vilaine, où le PS est arrivée en tête (19,72%), le FN ne maintient que 6 de ses 25 binômes. Mais les deux candidats Mickaël Pinton et Loïc de Fleurette, présentés à Vitré et Rennes, et qui s'étaient fait remarquer, le premier pour des propos racistes, le second pour avoir fait l'apologie du maréchal Pétain, se sont fait éliminer. Même cas de figure en Haute-Vienne, autre bastion socialiste (le PS est arrivé en tête au premier tour avec 25,54% des voix). Quatre candidats FN avaient fait parler d'eux, tous ont été boudés par les électeurs, et, avec eux, leurs binômes. Parmi lesquels Vincent Gérard, candidat à Limoge, qui, le 3 novembre 2014, avait écrit sur sa page Facebook, en rentrant du marché dans le centre-ville du chef-lieu de la Haute-Vienne: «Pas la peine de prendre l'avion pour se sentir dépaysé.»
En Aveyron, département où la droite est arrivée en tête avec 19,11% des suffrages, trois candidats FN avaient été épinglés pour des propos antisémites, racistes ou islamophobes. Aucun d'eux ne s'est maintenu au second tour. C'est le cas d'Alex Larionov, dans le canton de Causse-Cantal, exclu du FN en février pour des propos antisémites tenus sur sa page Facebook avant son adhésion au parti d'extrême droite en août 2014. Le FN s'étant rendu compte de la chose trop tard, Larionov était resté candidat, mais le parti avait décidé de ne pas alimenter son canton en bulletins de votes. De fait, Alex Larionov et sa binôme Andrée Poujade n'en ont obtenu aucun. Mais c'est aussi le cas de Bernard Baisson. En 2014, ce candidat du canton Tarn-et-Causses écrivait: «Le Rom, lui, ne travaille pas. Il ne veut pas travailler et, de toute façon, il ne veut que voler, depuis toujours.» Dimanche, lui pourra se reposer: aucun bulletin ne mentionnera son nom.
(1) Nous ne nommons dans cet article que les candidats que nous avions repérés dans notre carte, mais c'est bien sûr dans le cadre de binômes qu'ils se présentent.
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