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Libération
Reportage

FN : l’Aisne, un bastion de dynamite

Beaucoup habitants du canton de Guise, où le Front national est arrivé en tête dimanche, stigmatisent l’Europe et l’immigration.
A Nouvion-en-Thiérache, ce lundi, dans l'exploitation laitière de Jean-Pierre, qui ne prend jamais de vacances afin de pouvoir s'occuper de ses 200 bêtes. (Photo Vincent Jarousseau)
publié le 24 mars 2015 à 20h06

Jean-Pierre en «a marre !» «Ras-le-bol !» Cet agriculteur de 54 ans, producteur de lait, installé à la sortie de la commune du Nouvion-en-Thiérache, dans le nord du département de l’Aisne, à quelques kilomètres de la frontière belge, ne veut pas remâcher son coup de gueule, tout seul dans son coin. Sur le silo, juste avant l’étable où Anaïs, la chef du troupeau, fait la queue avant la traite, Jean-Pierre a collé deux grandes affiches avec le portrait de Marine Le Pen et ce slogan «Le FN : Premier parti de France». «On est sur le dos comme on dit chez nous. On s’en sort plus. Nous autres, ce qu’on veut, c’est foutre cette Europe en l’air qui nous bouffe jusqu’au trognon», débute Jean-Pierre autour d’un café, une fois la dernière de ses deux cents vaches passée à la traite la nuit tombée. Sa journée a commencé avant le lever du soleil à 5 heures du matin. Et puis, il doit repasser à l’étable pour redonner à manger aux bêtes. Des journées de 5 heures du matin à 21 heures pour un revenu mensuel de 980 euros. «Les heures, je m’en foutrais encore si on gagnait notre bien. On donne trop d’argent à ceux qui ne veulent rien faire. Puis, les aides pour les étrangers, ça ne peut plus durer. L’Europe, ce serait bien si tout le monde gagnait la même chose. Là, faut fermer les frontières», tranche Jean-Pierre.

Depuis 1986, il vote pour le FN. Et dans son canton redécoupé à la faveur de la réforme territoriale, Armand Pollet, l’un des deux candidats du parti de Marine Le Pen, caracole en tête avec 44,05% des voix. Le conseiller général socialiste sortant arrive loin derrière avec 29,23% des voix. Celui de droite (26,72%), qui, lundi soir, accusait un retard de 1 300 voix sur son adversaire frontiste, a décidé de se retirer de la compétition, mais sans nourrir trop d’illusions sur le résultat du scrutin.

Compote

Au soir du second tour, dimanche prochain, le canton de Guise risque de tomber dans l’escarcelle du FN. Tout un symbole dans cette ville qui abrite le familistère Godin, lieu de vie communautaire, édifié à partir des années 1850, pour le bien-être de la classe ouvrière par l’inventeur des poêles du même nom. Un projet utopique, présocialiste inspiré des lectures fouriéristes de l’entrepreneur Jean-Baptiste André Godin. A l’accueil, Marion, une petite vingtaine d’années ne cache pas son vote en faveur du FN. «Pour que chacun reste chez soi. On n’a pas à nous imposer des choses chez nous.» Sa collègue, Marjorie, bondit. «J’en ai marre que Guise soit présentée dans les médias comme la ville des poussettes avec des mamans de 15 ans et trois enfants, comme une ville de misère.» Un constat pas très éloigné de la réalité dans un canton où le taux de chômage oscille entre les 14% et 16% et touche surtout les jeunes de 21 à 30 ans, dont un sur deux a voté FN. Quand ils votent.

Ils sont trois à tenir le mur près du bâtiment en briques rouges du familistère. Miguel, 34 ans, a la chance d'avoir un boulot à l'usine Materne, pas très loin en direction de Saint-Quentin. Il y mélange la compote. Dimanche, il n'a pas voté mais s'il y était allé, «j'aurais voté Marine Le Pen». Ses deux potes, Ludovic et Samuel, tous deux ferrailleurs, ne se sentent pas concernés par tout cela. «La politique, ça ne nous parle pas. De toute façon, on est toujours dans la même merde que ce soit la droite ou la gauche», résume Ludovic, 27 ans.

Marie y a regardé de près en faisant ses courses. Sans emploi, elle parle de ses fins de mois difficiles et égrène le chapelet des fermetures d'entreprises dans la région. Elle est allée une seule fois à Laon, la préfecture du département qu'elle a trouvé joli. «Quand vous n'avez pas d'argent, vous ne pouvez pas mettre d'essence dans la voiture. Paris, à deux heures de route seulement, devient un autre monde. La tablette et Internet deviennent vite des luxes», résume un élu socialiste.«La politique ne peut grand-chose pour nous. On se sent abandonné tout de même», poursuit-t-elle. Eric, 22 ans, cuisinier sans emploi, aurait «voté FN - s'[il] avai[t] voté - pour que ça change». Faute d'avoir son permis et surtout l'argent pour le passer, il a du mal à trouver un job. Il compte sur les aides de la mission locale pour l'emploi pour décrocher le petit papier rose.

«Crever»

«Les jeunes sont désespérés. Et beaucoup de gens considèrent qu’ils payent pour des personnes qui se contentent de toucher les aides sociales sans chercher un travail, sans rien faire», explique Maurice Pollet, le candidat FN qui sort de son cartable la liste des aides avec, surlignées, celles dont bénéficient les étrangers «y compris en situation irrégulière comme l’aide médicale d’Etat. Les gens ne comprennent pas pourquoi ils doivent payer pour cela». René Dosière, député apparenté socialiste de la première circonscription de l’Aisne et maire de Laon de 1983 à 1989, se souvient d’une de ses électrices venue le voir pour des problèmes de factures impayées. «De toute façon, j’aurais été arabe, j’aurais eu droit à tout», lui lance la femme après que le député lui a expliqué qu’il ne pouvait rien pour elle, raconte René Dosière.

Au Nouvion-en-Thiérache, Jean-Pierre, le producteur de lait, fan de Marine Le Pen, a vu les commerces de ce bourg de 3 000 habitants fermer les uns après les autres : «Personne ne s'occupe de nous. On nous a abandonnés. Dans nos campagnes, on peut crever.» «Vous venez de Paris ? s'enquiert Jean-Pierre. Moi, je ne pourrais pas y vivre une heure. Quand j'entends à la télé qu'il y a des endroits ou la police ne peut pas aller, ça, je ne comprends pas. Si ça continue, y vont faire la loi chez nous. Nous, on bosse, on paie pour des aides aux étrangers. Moi, à la banque, ils m'ont dit que j'aurais droit à des aides si j'étais handicapé ou mort.»

Comme consolation, Jean-Pierre a ses vaches qu’il adore et que sa fille Angélique, 9 ans, connaît toutes par leurs prénoms. «C’est surtout pour elle qu’on s’inquiète», confie sa femme Valérie. Pour arriver au Nouvion-en-Thiérache, la départementale traverse un lieu-dit baptisé La Désolation.