Elle parle un peu trop vite, fait tomber son foulard à la barre, se trompe de main en prêtant serment. Florence Woerth, 58 ans, semble encore se demander comment elle a pu se retrouver face à un tribunal. Tailleur-pantalon noir, boucles d'oreilles discrètes, les yeux légèrement maquillés, la femme de l'ancien ministre du Budget apparaît comme la principale victime collatérale d'une affaire qui la dépasse. «Femme de» : déjà une insulte, pour celle qui a passé sa vie à tenter de conquérir son indépendance professionnelle et financière, elle que son père a élevée «comme un garçon».
«C'est une insulte qu'on puisse imaginer que j'ai pu faire l'objet d'un troc», insiste-t-elle. Dans un enregistrement clandestin d'avril 2010, Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, avait pourtant confié à sa patronne avoir embauché Florence Woerth «pour faire plaisir à son mari». Une fleur qui lui aurait permis d'obtenir la Légion d'honneur et qui lui vaut, aujourd'hui, d'être poursuivi pour «trafic d'influence».
Donateurs. A la barre, Florence Woerth commence par retracer son parcours professionnel dans un «monde d'hommes», son diplôme de HEC, ses débuts comme analyste financière, puis son embauche chez Rothschild. Début 2007, quand sa route croise pour la première fois celle de Patrice de Maistre, elle travaille à la Compagnie 1818, une banque d'affaires, où elle a pour mission de faire fructifier les «grands comptes».
Patron de Clymène, la holding chargée de gérer les avoirs de la famille Bettencourt, Patrice de Maistre chercher alors à muscler son équipe. Florence Woerth n’a pas vraiment le profil : le cabinet de chasseur de têtes mandaté par Clymène vise plutôt un «junior» d’une trentaine d’années. Mais sur les huit candidats sélectionnés, le seul qui semble faire l’affaire affiche des exigences financières trop élevées. Entre-temps, Patrice de Maistre a imaginé une autre option, plus séduisante politiquement.
Membre du Premier Cercle, structure rassemblant les plus gros donateurs de l’UMP, le patron de Clymène a fait la connaissance quelques mois plus tôt d’Eric Woerth, le trésorier de l’UMP. Au cours d’un rendez-vous, ce dernier lui a amicalement demandé de recevoir sa femme, qui cherche à réorienter sa carrière. En mars 2007, une première rencontre est organisée au siège de Clymène, au cours de laquelle Florence Woerth se contente de présenter les activités de sa banque. Il n’en faut pas plus pour convaincre Patrice de Maistre. Quelques semaines plus tard, il lui propose de rejoindre Clymène.
Hasard du calendrier : Eric Woerth a été nommé un mois plus tôt ministre du Budget. Une coïncidence qui n'a manifestement pas gêné Patrice de Maistre, pourtant occupé depuis plusieurs mois à rapatrier de Suisse les millions cachés de Liliane Bettencourt. «Vous recrutez la femme du ministre du Budget, alors que vous organisez la fraude fiscale des Bettencourt», s'était étonné le président du tribunal, lundi, lors du premier jour d'audience. «J'ai fait une erreur», avait fini par reconnaître Maistre.
Florence Woerth, elle, ne sait encore rien de ces magouilles fiscales. En revanche, elle est parfaitement consciente du changement de statut de son mari. Ce dernier est à peine nommé à Bercy que ses gros clients de la Compagnie 1818 lui font opportunément part de leurs contrôles fiscaux. «Tous mes clients devaient penser ça, admet Florence Woerth, résignée. Si j'avais pu reprendre mon nom de jeune femme à ce moment-là, je l'aurais fait.»
«Petite carriériste». A l'époque, Clymène lui offre, au moins, l'avantage de limiter le nombre de clients problématiques. Elle est finalement embauchée en septembre 2007, en tant que directrice «recherche et investissements», mais son nouveau quotidien se ternit rapidement. Florence Woerth regrette son manque d'autonomie, et doit faire face à une activité en berne en raison de la crise financière qui se profile. Surtout, la presse commence à la présenter comme la gestionnaire de fortune des Bettencourt, ce qui fait jaser dans les milieux d'affaires. Un climat alourdi encore un peu plus par la plainte déposée par la fille de Liliane Bettencourt contre le photographe François-Marie Banier.
Mais c'est un autre événement, plus anodin, qui précipitera la chute de Florence Woerth. En février 2010, un de ses amis lui propose de rejoindre le conseil de surveillance d'Hermès. Elle accepte. L'information fuite dans le Canard enchaîné, avant même qu'elle n'ait eu le temps d'en parler à Patrice de Maistre. Furieux, ce dernier s'en ouvre à Liliane Bettencourt, qualifiant Florence Woerth de «petite carriériste». «Je pense qu'il faut que j'aille voir son mari et que je lui dise […]. Parce que c'est trop dangereux», ajoute-t-il.
Etrangement, Patrice de Maistre commence donc par prévenir Eric Woerth, avant de consentir à recevoir Florence. «Puisque votre mari veut que je vous voie, j'aimerais qu'on se sépare», lui lance-t-il, avant de la congédier. Florence Woerth est licenciée en mai 2010. Quelques jours plus tard, les premiers enregistrements clandestins fuitent dans la presse. L'affaire Bettencourt est lancée.