«Hier soir, ma femme m'a dit : il s'est passé une drôle de chose à l'école, et pas une bonne chose. Et elle a pris des cachets pour dormir.» Cet habitant de Villefontaine (Isère), dont l'épouse travaille à la maternelle du Mas-de-la-Raz, à 25 kilomètres de Lyon, est venu lui faire un signe par la grille, pendant la pause déjeuner de mardi. «Elle est très touchée, les enfants de la classe de CP à qui c'est arrivé, elle s'en occupait l'année dernière, chez les grands de maternelle.»
Deux élèves, âgées de 6 ans et demi, ont décrit, avec leurs mots d'enfant, des fellations que leur instituteur, par ailleurs directeur de l'école, leur aurait imposé «par surprise», dans le cadre d'un «atelier du goût», selon les premiers éléments de l'enquête menée par la brigade de recherches de la gendarmerie de Bourgoin-Jallieu. Interpellé lundi et suspendu de ses fonctions, l'homme, père de famille de 45 ans, a été placé en garde à vue, reconduite de 24 heures.
Au cours des séances décrites, les enfants, yeux bandés, devaient identifier ce que leur aurait proposé de «goûter» leur enseignant derrière un paravent, au fond de la classe. «Quel parent n'a jamais dit : "Tu te tais et tu obéis, tu fais ce que le maître te demande"…», soupire une mère d'élève, les yeux fixés sur le trottoir, devant l'école.
Images. Le Mas-de-la-Raz est l'un des 9 groupes scolaires de Villefontaine, commune rurbaine de 18 000 habitants du nord de l'Isère. Et c'est la troisième affectation de l'instituteur incriminé en trois ans : «Ce n'est pas fini, prédit un père. D'autres histoires encore vont sortir.» Déposées en fin de semaine, les deux premières plaintes ont déjà été suivies par celle de la famille d'un petit garçon, mardi matin. «Je suis assistante maternelle, dit une dame, et tous les cinq ans, je dois fournir, avec tous les majeurs de mon foyer, un extrait de casier judiciaire. Comment, alors qu'il avait un casier, on a pu lui confier 30 gamins ?» Lors d'une perquisition à son domicile, les enquêteurs ont trouvé une clé USB contenant un film et des photos pédopornographiques.
Condamné en 2008 à six mois de prison avec sursis pour recel d'images du même type, il avait été soumis à une obligation de soin et à une mise à l'épreuve. Mais aucune trace de ce passé dans le dossier professionnel de l'instituteur : «Il ne fait état d'aucune condamnation», confirme Dominique Fis, inspectrice de l'académie d'Isère. «Selon les informations orales que j'ai, la justice n'aurait pas considéré que sa condamnation devait impliquer des restrictions de domaines d'intervention [comme le contact avec des enfants, ndlr]», a-t-elle indiqué à Libération. La ministre de l'Education, Najat Vallaud- Belkacem, a ordonné une enquête administrative pour tenter d'expliquer les raisons de ce dysfonctionnement.
«Réunion». Vers 13 h 45, une mère de famille se tord les mains, devant la grille : elle vient d'apprendre l'affaire en bloc, «à la radio». Son fils est scolarisé dans la classe de CP concernée. Il «fallait» qu'elle vienne. Elle va être accueillie par la cellule psychologique mise en place par le rectorat. Elle est aussi destinée aux enseignants et aux enfants : «Il s'agit d'écoute et d'accompagnement», dit Dominique Fis.
Mardi soir, une «réunion de crise pour des faits graves», était convoquée à l'école. Pour «qu'ils nous donnent les mots pour en parler à nos enfants», anticipait un père. «Il faut que la parole se libère, que les enfants se sentent libres de dire», confirme Dominique Fis, qui «n'exclut pas» que «d'autres victimes» se signalent.
Mardi soir, le directeur mis en cause a reconnu les faits lors de sa garde à vue. Récente recrue du Syndicat national des écoles, il expliquait, en septembre, dans le journal de liaison de l'organisation, s'engager «pour que ce métier soit de nouveau considéré, et que l'école ne soit plus le fourre-tout de la société».