Hâtivement salués comme autant de ralliements au front républicain, certains désistements de binômes UMP arrivés troisième au premier tour risquent, au contraire, de favoriser l’élection des candidats du FN. De la Picardie au Languedoc, quelques candidats de droite ont bravé la consigne du ni-ni, défendue par Nicolas Sarkozy en affirmant publiquement leur souhait de voir la gauche l’emporter. Sur le terrain, ils sont nombreux à être sincèrement révulsés par la perspective de voir entrer dans les assemblées départementales des inconnus aux parcours douteux affublés de l’étiquette FN.
Quand l’UMP n’a raisonnablement aucune chance de l’emporter mais peut néanmoins se maintenir en triangulaire, certains candidats choisissent de se retirer en invoquant la République. Satisfaisante moralement, cette stratégie peut être politiquement contre-productive. Seuls face aux socialistes, les candidats du FN peuvent en effet espérer, dans certains cantons, un report massif des voix de l’UMP en leur faveur. De sorte qu’il peut arriver que le meilleur moyen de faire barrage au FN soit non pas de se désister mais se maintenir pour priver le FN d’un réservoir de voix supplémentaire.
C’est ce qu’a bien compris Jean-Paul Fournier, sénateur-maire UMP de Nîmes, partisan déclaré du front républicain. Dimanche prochain, il appelle à voter pour la gauche dans les neuf cantons du Gard (sur 22) où le second tour se joue entre le FN et la gauche. «Ce n’est pas la première fois que je prends une telle position. Je ne veux pas que ces gens-là arrivent au pouvoir», affirme Fournier à Midi Libre. Il a en revanche décidé de maintenir les candidats UMP dans les trois triangulaires où l’UMP est arrivée en troisième position. Mais partout en France, beaucoup ont fait le choix de se retirer.
«Aucun sens politique»
«Nous voulons donner toutes ses chances au parti républicain. C’est une question de morale personnelle», expliquent les candidats UMP, arrivés en troisième position à Essômes-sur-Marne dans l’Aisne, le département de Xavier Bertrand. Le secrétaire départemental UMP Christophe Coulon regrette ces désistements. Comme l’ancien ministre du Travail, il militait pour que les binômes de l’union de la droite se maintiennent «par respect pour ses électeurs». Dans le canton d’Essômes-sur-Marne, ce retrait peut faciliter l’élection du FN. A l’inverse, la victoire de l’extrême droite sera sans doute plus compliquée dans le canton voisin de Ribemont, où le binôme UMP se maintient. Il est mené par Orane Gobert, directrice de cabinet de Xavier Bertrand à la mairie de Saint-Quentin, Contre leur propre intérêt, les candidats PS de l’Aisne ont eux-mêmes demandé à leurs collègues UMP de se retirer. «Ils n’ont aucun sens politique. Ils n’arrivent pas à comprendre que notre retrait libère des voix pour l’extrême droite» se désole un responsable de l’UMP. Selon lui, quelles que soient les consignes, les électeurs de droite seront toujours plus nombreux à se reporter sur le FN que sur le PS.
Dans la Drôme et surtout dans le Vaucluse, département gagnable pour l’extrême droite, les ambiguïtés des désistements de l’UMP sont plus évidentes encore. C’est le cas dans le canton de Grignan (Drôme), où le Front national (37,61%) était arrivé en tête devant le binôme du PS (31,23%). En troisième position avec 28,68% les candidats UMP ont invoqué leurs «valeurs» pour expliquer leur retrait. Une décision aussitôt interprétée, dans la presse locale, comme une volonté de «faire barrage au Front national». Paul Bérard, l’un des deux candidats du binôme UMP, a pourtant bien précisé qu’il ne «donnait aucune consigne de vote», estimant que «ces affaires de front républicain ou de « ni ni » n’ont pas de sens pour les électeurs». Comme Xavier Bertrand, le député de la Drôme Hervé Mariton regrette ce retrait. Selon lui le moyen le plus sûr de barrer la route au FN aurait été le retrait du binôme de gauche.
«Ame et conscience»
C’était aussi l’argument de l’UMP François Pantagène, dans le canton de Pernes-les-Fontaines (Vaucluse). Avec 26,7% des suffrages, il pouvait se maintenir au second tour mais n’a aucune chance de l’emporter en triangulaire tant son retard est important par rapport aux binômes du PS (36%) et de l’UMP (37%). il souhaitait que le PS, bien que deuxième se retire comme il l’a fait dans deux autres cantons du Vaucluse où il était en troisième position. Le PS refusant très logiquement cette proposition, il a décidé de ne pas lui faire le cadeau de se maintenir. Il dit avoir pris sa décision en son «âme et conscience». Sauf qu’en réalité, les socialistes du Vaucluse n’étaient pas tous demandeurs. L’expérience montre que les électeurs UMP du Vaucluse se reportent très massivement vers le candidat du FN. Ce fut le cas en 2011, sur le canton de Carpentras Nord où le candidat FN est passé de 33% au premier tour à 54% au second.
En se retirant Pantagène - localement décrit comme un républicain impeccable - augmente donc plutôt les chances du candidat du FN Julien Langarde, un pur produit de l’extrême droite la plus dure, celle qu’affectionne tout particulièrement la députée Marion Marechal-Le Pen. Ancien du GUD lyonnais, pilier de l’organisation de jeunesse FNJ, il s’est distingué par ses actions anti-IVG, brandissant des portraits de la Vierge devant une clinique d’Avignon. «Ce type est un vrai facho, ça me ferait vraiment mal de le voir élu» confie à Libération un responsable local de l’UMP. Pantagène a adressé mardi soir à ses électeurs un message dans lequel il affirme se retirer au nom de la clarté, tout en laissant les électeurs «libres de leur choix». Un désistement républicain? Pas évident. L’hebdomadaire Valeurs actuelles, ardent défenseur d’un rapprochement de la droite et de l’extrême droite ne s’y est pas trompé. Pour lui, pas de doute, l’UMP s’est retirée «au profit du FN».