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Analyse

Avec Nicolas Sarkozy, la droite se brunit

Durant la campagne, l’ex-Président a multiplié jusqu’à l’obsession les attaques contre un supposé communautarisme musulman. Passage obligé, selon lui, pour ravir les électeurs du FN et reconquérir l’Elysée.
Nicolas Sarkozy, le 7 février, au conseil national de l'UMP à la Mutualité. (Photo Sébastien Calvet)
publié le 27 mars 2015 à 20h26

Un «héritage chrétien» et un «mode de vie» à défendre contre les coups de boutoirs du communautarisme musulman. Dans cette campagne départementale dominée par une débauche de slogans identitaires, Nicolas Sarkozy ne vise pas seulement une victoire, mécaniquement acquise, sur une gauche divisée et décriée. Il veut aussi, surtout, faire la démonstration de sa capacité à récupérer les électeurs tentés par le vote FN. Ce qui ferait de lui, loin devant Alain Juppé, le meilleur candidat pour 2017. Dimanche dernier, au premier tour des départementales, l'exercice n'a pas été concluant : selon l'Ifop près de 18% des ex-électeurs de Sarkozy qui se sont déplacés le 22 mars ont voté FN.

Pas de quoi ébranler l'ex-chef de l'Etat, persuadé, comme toujours, que sa stratégie est la meilleure. Comme le professait jadis son conseiller Patrick Buisson, maître à penser de la droite extrême, il croit que les questions identitaires troublent infiniment plus les Français que la disparition des services publics. D'où cette complainte obsessionnelle, récitée à chaque discours, sur les supposés «ravages du communautarisme musulman».

«Acclamation». En s'opposant aux menus alternatifs pour les écoliers qui ne mangent pas de porc, le chef de l'UMP démontre qu'il est capable de rivaliser avec les outrances de l'extrême droite. En exigeant «l'assimilation» des immigrés, et non plus seulement leur intégration, il attaque clairement son concurrent, Alain Juppé, qui juge cette notion obsolète et milite, dans un texte paru en septembre 2014, pour une «identité heureuse», respectueuse de la diversité. En pleine campagne pour la présidence de l'UMP, Sarkozy répliquait le 7 novembre dans un discours bourré de «fermeté républicaine». Comme aux plus belles heures de sa campagne de 2012, il se posait en défenseur de «l'héritage de la chrétienté» et ressuscitait «l'assimilation» qui impose d'adopter «le mode de vie français, les règles républicaines françaises, la langue et la culture française». «Enfin, le mot était prononcé ! C'était une évolution salutaire», se souvient Geoffroy Didier, animateur du courant le plus droitier de l'UMP. Pour ces départementales, sous les acclamations de ses supporteurs, Sarkozy a brodé sur ce thème à chacun de ses meetings. Partout, il a dit sa compassion pour ces Français des périphéries, «abandonnés» tandis que «des milliards» étaient «déversés» dans les quartiers peuplés d'immigrés. «On est prêts à accueillir de nouveaux Français, mais c'est ceux qu'on accueille qui doivent s'adapter», a-t-il déclamé jeudi soir à Perpignan. «On veut garder notre culture. La France n'est pas une addition de communautés. La France, c'est une nation», expliquait-il la veille, dans le Nord.

Pour illustrer son propos, cinq jours avant le premier tour, au 20 heures de TF1, Sarkozy s'est délibérément emparé des sujets les plus controversés : interdiction du foulard dans les universités et, surtout, suppression des menus de substitution dans les cantines scolaires. Deux propositions jugées contestables, voire absurdes, par les principaux candidats à la primaire pour 2017, Alain Juppé et François Fillon. Qu'importe : l'ancien chef de l'Etat tenait à marquer son territoire. Il aura été aidé, dans cette entreprise, par le jeune maire de Chalon-sur-Saône (lire page 4), sarkozyste zélé qui a mis brutalement fin à un usage trentenaire sans en informer son équipe municipale. Là encore, l'effet électoral de l'opération n'est pas très probant : dans le canton de Chalon-Ouest, le binôme PS fait presque jeu égal avec l'UMP. Résultat inespéré, probablement à mettre au compte d'une surmobilisation d'un électorat de gauche écœuré. Très critiqué dans son propre camp - notamment par Rachida Dati qui l'a invité à «arrêter de délirer»–, Sarkozy a dû se contenter du soutien de quelques fidèles.

Avant le premier tour, le bureau politique de l'UMP se félicitait de constater que le menu unique dans les cantines remportait un franc succès dans les réunions de sympathisants. C'en était trop pour le député UMP Henri Guaino, exaspéré de voir ses amis courir derrière les militants. En «attisant les feux de la colère», on ne fait«que nourrir la défaite morale qui précède toujours la défaite politique», confie à Libération l'ex-plume de Sarkozy.

«Je ne nie pas la question identitaire, bien au contraire. Mais nous avons une nation à refaire. Quelle allure aura-t-elle, si l’on dresse les Français les uns contre les autres, musulmans contre non-musulmans ?»

Ambiguïté. Alors qu'un porte-parole du Conseil du culte musulman dénonçait vendredi, au lendemain de l'agression d'une femme voilée à Toulouse, «le discours tenu ces derniers jours par des professionnels de l'amalgame»,Fillon, dans un entretien au Parisien, invitait sa famille politique à ne pas «céder à la surenchère». Jeudi soir, sur Canal +, Juppé ajoutait que l'on n'était «pas obligé de jeter de l'huile sur le feu en permanence» ni d'aller «toujours dans le sens de la volonté populaire». Savoir résister à ce genre facilité : telle est, selon lui, la définition même du leadership…

Encore une «leçon de morale» qui fera sourire Sarkozy, persuadé qu'il dispose déjà d'une avance décisive sur le maire de Bordeaux. Valeurs actuelles, l'ex-journal de Buisson, lui offre cette semaine le sondage qu'il veut lire : selon l'Ifop, l'interdiction du foulard dans les universités est approuvée par 84% des sympathisants UMP, et 63% d'entre eux seraient pour la fin des «menus de substitution halal». Cette dernière question cultivant l'ambiguïté, entretenue par Sarkozy, entre menus de substitution et menus confessionnels. Interrogé mardi sur RTL par un père de famille musulman qui lui demandait ce qu'il proposait pour ses deux enfants, consommateurs habituels de menus sans porc, Sarkozy a répondu : «Si vous voulez que votre enfant vive la religion de ses parents, la République dans sa grande sagesse a prévu un enseignement confessionnel.» Autrement dit, à l'école publique, du cochon sinon rien. Cette stupéfiante réponse est censée satisfaire plus de 80% des électeurs de l'UMP. Cela ne se refuse pas.