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Libération
Analyse

Un basculement historique dans une France fracturée

Dans une société travaillée par les aspirations individualistes et les pulsions de repli identitaire, le vote FN ouvre une nouvelle ère politique.
Marine Le Pen a voté aujourd'hui à Hénin-Beaumont. (Photo Aimée Thirion)
publié le 29 mars 2015 à 20h13

Le sort final du Vaucluse importe finalement peu. Ces départementales font basculer la France dans une nouvelle histoire politique et sociale : voilà le Front national installé, incrusté pourrait-on même écrire, pour longtemps. Le vote frontiste avait jusqu’alors une très forte composante conjoncturelle : il variait en fonction du type de scrutin (potentiellement fort à la présidentielle, faible aux élections locales), de la conjoncture économique et du climat politique. Il est devenu une donnée quasi structurelle du paysage politique. Il a progressé, presque partout, y compris là ou il était déjà très fort, pénétrant presque toutes les couches de la population. Puisque presque 26% des Français ont voté pour le FN sans avoir besoin de connaître son candidat, ni même son programme, on peut penser que le parti de Marine Le Pen a constitué là un socle électoral (autour de 25%), qui peut lui permettre d’être en tête au premier tour en 2017.

L’autre enseignement historique de ce scrutin est la nouvelle porosité des électeurs (et d’une partie du discours) entre la droite républicaine et l’extrême droite. Nicolas Sarkozy a fait bouger (probablement pour longtemps) la définition de ce qu’il convient d’appeler un parti républicain. Hier, le FN était un parti à part. Aujourd’hui, il est devenu un parti presque comme les autres. Entre un candidat socialiste et un frontiste, l’électeur de droite refuse de choisir (pour la moitié d’entre eux) ou vote carrément pour le FN (pour un petit quart d’entre eux). Signe d’une droitisation de la société française, travaillée en profondeur par des aspirations individualistes et des pulsions de repli identitaire.

Ce double mouvement sonne pour François Hollande comme un terrible désaveu. En arrivant à l’Elysée, le chef de l’Etat s’était fixé deux objectifs  : le redressement économique et le rassemblement du pays. Le premier ne vient toujours pas. Le second ne fait que s’éloigner. La France donne l’impression de se fracturer, chaque année un peu plus. Une partie de la population, y compris à gauche, n’hésite plus à désigner son voisin, l’étranger ou le musulman, comme la cause de ses frustrations sociales.

Le fait que le FN progresse est moins le résultat d'un parti fort que d'un pays malade. On ne peut pas accuser Hollande de déni de réalité. Dans sa dernière interview au magazine Society, il a même prévenu qu'une future baisse de quelques points du chômage ne réussira pas à faire refluer le vote frontiste. Pourtant, le chef de l'Etat fait comme s'il n'avait pas pris la mesure de cette secousse. Elle aurait dû déclencher un état d'urgence, un combat ultime pour des valeurs. En s'obstinant dans son rôle d'un président des bonnes nouvelles, à attendre la reprise comme on attend Godot, il prend le risque de se couper définitivement, non seulement de sa gauche, mais du pays entier.