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Libération

Présidentielle 2017 : la bataille des trois rejets

publié le 1er avril 2015 à 17h06

La France est la patrie des crises politiques. En deux siècles, elle a changé quinze fois de régimes, à la suite de révolutions, de guerres, ou d’extrêmes tensions : record d’Europe. Elle est aussi un incomparable foyer d’instabilité politique. Sur les huit dernières élections législatives, sept ont marqué la défaite des majorités sortantes, autre record d’Europe. Depuis 2012, la gauche de gouvernement a déjà perdu quatre rendez-vous successifs, municipales, européennes, sénatoriales et enfin départementales. La tradition continue, la fabrique de la défaite tourne à plein régime.

Elle recouvre cependant cette fois-ci un cas de figure inédit, une crise politique froide redoutable car elle annonce pour 2017 une sombre bataille de rejets. Jusqu’à présent, l’élection présidentielle arbitrait entre rejets et projets. Dans deux ans, pour la première fois, la probabilité la plus forte est que s’engage au contraire une guerre inexpiable des seuls rejets.

L’élection de 2017 se jouera pour l’essentiel à trois. Il y aura, certes, une dizaine, voire une douzaine de candidats mais trois d’entre eux émergeront inévitablement. On enregistre aucun signe d’apparition d’un Syriza ou d’un Podemos à la française. Les écologistes, rongés par les divisions, s’abonnent aux rôles de figurants. Les centristes se préparent à être confortablement absorbés par l’UMP rebaptisée. Seul François Bayrou sera, peut-être, tenté de faire entendre sa voix mais celle-ci risque de sonner plus juste que fort. Il y aura aussi un Nicolas Dupont-Aignan et quelques trotskistes, plus un ou deux dissidents d’ici ou de là : rien de significatif. Seront en fait aux prises Marine Le Pen, François Hollande et l’UMP désigné par la primaire, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy. Sauf renversement de situation au bénéfice d’Alain Juppé ou surgissement improbable d’un troisième larron, tout est en place pour une violente et amère bataille de rejets.

Marine Le Pen vient d'arracher un succès impressionnant aux départementales, pourtant peu accueillantes pour l'extrême droite. Avec un socle de 25% des suffrages exprimés, la présidente du FN est la seule à pouvoir revendiquer une percée réelle. Nicolas Sarkozy a remporté les sièges et la bataille politique, elle a gagné les voix et la bataille arithmétique. Elle a confirmé son aptitude à incarner le ressentiment, la colère, l'amertume ou, pour reprendre une formule fameuse du général de Gaulle «la hargne, la grogne et la rogne». Dans notre pays en plein désarroi, cela lui assure une place de choix en 2017. Marine Le Pen devient le masque noir de la France. Simultanément, elle travaille chaque jour, à force de violence et d'outrance, à consolider elle-même ce plafond de verre qui l'isole de la majorité des Français. Elle attire à elle ceux qui n'espèrent plus rien de la politique, elle mobilise contre elle ceux qui croient encore aux vertus de notre imparfaite démocratie. Elle coagule à son profit tous les mécontentements, elle fédère contre elle ceux qui rejettent la xénophobie, le nationalisme, la démagogie manipulatrice. Elle enfante le rejet.

François Hollande est entré depuis janvier 2014 dans son costume présidentiel, et il a démontré, en janvier 2015, qu’il savait le porter dans les pires circonstances. Il a acquis désormais, après deux années d’étranges flottements, son statut de chef de l’Etat. Sa ligne économique est devenue crédible, sa ligne politique devient visible. Il suscite néanmoins lui aussi un rejet persistant et blessant chez une bonne partie des Français. On lui impute la stagnation économique, les souffrances sociales et la frivolité politique du PS. On lui reproche d’avoir trop fait rêver, d’avoir oublié, tergiversé, embrouillé. Une fraction de la gauche ne lui pardonne pas, une fraction plus large encore et plus embarrassante de la France populaire, menacée et précarisée ressent un sentiment d’abandon et d’indifférence. C’est sans doute injuste, mais c’est ainsi. Quand le peuple souffre, le souverain est coupable. Qui incarne la crise s’expose au rejet.

Quant à Nicolas Sarkozy, lui aussi part, et le sait bien, avec pour handicap le rejet qu’il suscite toujours chez une majorité de Français. Président jusqu’en 2012, il fait lui aussi figure de sortant. Guerrier implacable, il durcit sans cesse ses choix. Ses manières, son style, sa façon de faire de la politique irritent jusqu’au sein de son camp. Il est à la fois adulé par une minorité et ostracisé par une majorité. Il est le favori du jour et le réprouvé de toujours. Bataille de trois rejets, lutte entre trois sanctions.