Un an après son installation dans le fauteuil de maire, Robert Ménard savoure une nouvelle victoire : les trois cantons de la ville de Béziers ont été raflés par «ses» candidats Front national lors des élections départementales des 22 et 29 mars. Il est vrai que, durant l’année écoulée, l’ancien président de Reporters sans frontières n’a pas ménagé ses efforts pour marquer ce territoire de son empreinte.
Avril 2014 Les clés de la com
Arrivé à la mairie le 4 avril, Robert Ménard ne peut remanier le sommaire du bulletin municipal déjà bouclé. Mais dès le numéro suivant, il va utiliser le Journal de Béziers (JDB) comme une arme de propagande. Car l'ancien journaliste ne se contente pas d'une banale feuille de chou : «C'est de la presse engagée, un journal de combat», annonce t-il. Le style général balance entre Marianne et France Dimanche, les titres sont accrocheurs («Qui veut paumer des millions ?»«Un dénonciateur nommé X»), le ton se veut percutant, quitte à devenir grossier.
Grâce au Journal de Béziers, Ménard règle ses comptes : avec le maire précédent, Raymond Couderc, avec la communauté d'agglomération de Béziers et, surtout, avec le quotidien régional, Midi Libre , dont il dénonce la «propagande, insidieuse, sournoise, systématiquement hostile à la nouvelle municipalité».
Le Journal de Béziers entend donner au passage une leçon de journalisme à ceux que, dans un troublant dérapage, il qualifie de «confrères». Dans le numéro du 1er avril 2015, une page entière cloue le quotidien au pilori : «Midi Libre ment ! Midi Libre ment !» Ménard va aussi utiliser le JDB comme journal d'opinion : les Biterrois ont ainsi droit à une analyse géopolitique sur la Syrie ou à une couv sur la «lente infiltration» du terrorisme islamiste.
En février, dans ce bulletin devenu bimensuel, les médias sont décrits comme «ni légitimes, ni viables, ni représentatifs»… Les lecteurs qui voulaient seulement savoir à quelle heure sortir leur poubelle verte restent sur leur faim. Impossible pour eux d'oublier qui est le chef : Ménard apparaît même dans les mots croisés (définition proposée : «maire et fondateur de Reporters sans frontières»).
Mai Le linge indésirable
Un arrêté municipal interdit désormais «de battre les tapis par les fenêtres après 10 heures du matin» et «d'étendre du linge aux balcons, fenêtres et façades des immeubles visibles depuis les voies publiques» dans le centre historique. Depuis, 30 PV à 35 euros ont été dressés, deux rappels à l'ordre et 70 avertissements formulés. Pour Marie-Claire, 71 ans, «le linge, ça faisait moche. C'est mieux comme ça». «Béziers est plus propre, témoignent en chœur Marie-Thérèse et Magali. Et puis, ce maire, il prend en conséquence ce qu'on lui dit, pas comme l'autre d'avant.»
Juin Attention, chute de paraboles
Un nouvel arrêté interdit les antennes paraboliques visibles depuis la rue. L'un des arguments évoque le «risque de chute et d'atteinte à la sécurité publique». Bilan : deux PV dressés, 50 paraboles retirées après avertissement. «Regardez, en face, la parabole y est toujours, s'amuse Fouad, locataire d'un deux-pièces dans une ruelle. Moi, je n'en ai pas, mais ils mettent davantage de PV sur ma voiture garée là, en bas… De toute manière, avec ma femme, on veut quitter le centre-ville.»
Juillet-août Le couvre-feu
Arrêté 1 127 : de 23 heures à 6 heures, durant les week-ends et les vacances scolaires, les moins de 13 ans non accompagnés d'un adulte seront reconduits chez eux ou au commissariat par la police municipale. «Cette décision s'applique dans le centre-ville et dans le quartier de la Devèze [quartier populaire de Béziers,ndlr], là où les problèmes sont les plus fréquents», précise Robert Ménard. Bilan de cette mesure ? «Quelques enfants ont été raccompagnés. Je n'ai pas le chiffre exact, mais cela a un effet éducatif certain.»
Septembre Des crachats et des cacas
Désormais à Béziers, «l'action de cracher est interdite sur la voie publique ainsi que dans les espaces publics». Pourquoi ? Parce que c'est sale et que «ces projections de salive peuvent être vecteurs de maladies». Les déjections canines sont aussi dans le collimateur de la mairie : le petit tas est facturé 80 euros au maître. Des paquets de 20 sacs à excréments sont offerts par la mairie, à condition que les demandeurs déclinent leur identité, adresse, et numéro de tatouage de leur chien. Pratique pour les sans domicile fixe.
Octobre La parole «libérée»
Robert Ménard lance un cycle de «conférences signatures» gratuites intitulé «Béziers libère la parole», afin de «faire entendre ceux qui pensent autrement que les médias dominants». Eric Zemmour ouvre le bal avec son Suicide français. Suivront Philippe de Villiers (pour le Roman de Jeanne d'Arc), Laurent Obertone (la France Big Brother), André Bercoff (Bernard Tapie, Marine Le Pen, la France et moi). Prochain invité de marque : le magistrat Philippe Bilger, présenté sur des affiches placardées dans les rues de Béziers comme «l'anti-Taubira».
Novembre Le dialogue (?) social
Nouvel organigramme de la ville. Il est décidé que les fonctionnaires seront promus «selon la règle du mérite» (avec prime à la clé) ; les chefs de service évalueront leurs subordonnés, la guerre à l'absentéisme est déclarée.
A la mairie, les syndicats de fonctionnaires territoriaux s'inquiètent : «Tous les services subissent des coupes budgétaires, sauf la police municipale qui absorbe 60 % du budget formation, assure Yann Nougarède, élu CGT du personnel. Depuis un an, une douzaine de fonctionnaires ont été licenciés pour insuffisance professionnelle, mis au placard, écartés ou non titularisés.»
Yves Elbechir, de la FA-FPT (1), se réjouit de la montée en grade de nombreux fonctionnaires de la catégorie C, qui sont les moins bien lotis : «Ils gagnent aujourd'hui un peu plus. Pour nous, c'était une grosse surprise.» Mais il souligne que le maire n'est pas un as du dialogue social. «Il nous avait donné son portable à son arrivée, affirmant qu'on pouvait le joindre quand on voulait. Il ne répond jamais», enchaîne Yvan Vialettes, élu CGT du personnel municipal : «L'ambiance est délétère en ville. Quand les balayeurs de rue prennent leur pause-café, des gens appellent la mairie pour les dénoncer.» (photo Nanda Gonzague)
Décembre Petit Jésus
La crèche installée dans l’hôtel de ville devient la plus médiatique de France. Elle sera maintenue, malgré l’action de la Ligue des droits de l’homme auprès du tribunal administratif de Montpellier.
Janvier 2015 L'Algérie française
«En finir avec une date infâmante» : le bulletin municipal annonce que la rue du 19-mars-1962 (date des accords d'Evian) va être débaptisée et porter le nom d'un «authentique patriote français», Hélie de Saint-Marc (ancien résistant, puis putschiste qui fut par la suite réhabilité). La promesse sera tenue le 14 mars : partisans de l'Algérie française à droite, contre-manifestants à gauche, Béziers se déchire et fait une nouvelle fois la une des médias. Le 19 mars, les drapeaux de la ville sont mis en berne.
Février L'arme de la police municipale
Le renforcement de la police municipale s'inscrit au cœur du dispositif. L'ancien directeur a été promptement remplacé par un nouveau «au profil plus opérationnel», venu de Bollène (fief de Marie-Claude Bompard, de la Ligue du Sud, situé dans le Vaucluse). Des brigades canine et équestre sont créées. En un an, Robert Ménard a porté le nombre d'agents de trente-sept à cinquante-sept ; «la délinquance a baissé de 18,2 %», affirme le maire de Béziers. (Photo Nanda Gonzague)
En février, il lance une campagne qui va immédiatement captiver les médias. On y voit un énorme pistolet avec ce slogan : «Désormais la police municipale a un nouvel ami.» Les Biterrois sont avertis : les agents (en réalité, seulement une dizaine) sont armés de 7.65, patrouillent nuit et jour, sont joignables sept jours sur sept. Le syndicat FA-FPT (1) dénonce une campagne publicitaire «sur le dos des policiers municipaux» et souligne son désaccord «lorsqu'il s'agit d'exploiter avec autant de mauvais goût la sécurité quotidienne de [nos] collègues».
Selon Jean-Michel Weiss, responsable départemental du syndicat, «une dizaine de policiers municipaux de Béziers s'interrogent actuellement sur leur avenir professionnel». Autrement dit, souhaiteraient partir ou changer de poste.
Le 12 février au soir, l'agence Midi Libre de Béziers boucle un sujet sur cette campagne de communication. En dernière minute, le directeur de la publication craint un «possible risque de poursuites en diffamation» : l'article est remplacé par une dépêche AFP. Les journalistes crient au scandale. La mairie, elle, se gêne de moins en moins pour cibler Midi Libre, visant nommément certains journalistes sur sa page Facebook ou dans son bulletin. «Notre travail est attaqué en permanence. Ecrire tous les jours ici, c'est devenu compliqué, commente Arnaud Gauthier, chef d'agence. Béziers aujourd'hui est divisée en trois camps : les fans du maire, ses adversaires et ceux qui ont peur.» De fait, plusieurs personnes rencontrées dans le cadre de cette enquête ont préféré ne pas s'exprimer.
Mars Vis ma vie
Trois Biterrois seront désormais invités, chaque mois, à passer une journée avec le maire, «du petit-déjeuner à la fin de l'après-midi», afin de «mieux comprendre le rôle et le quotidien de Robert Ménard». Les noms sont tirés au sort sur les listes électorales par catégorie d'âge. Ménard précise qu'il a piqué cette idée à la maire UMP du XVIIe arrondissement de Paris. Brigitte Kuster a en effet lancé l'opération «Et si c'était vous ?», mais les modalités diffèrent notablement : l'invitation, d'une demi-journée, concerne le maire ou un adjoint. Et, surtout, repose sur un appel à candidatures et un formulaire d'inscription. A Béziers, les tirés au sort peuvent quand même se consoler : leur participation n'est pas obligatoire.
(1) Fédération autonome de la fonction publique territoriale.