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Désintox

Fiscalité des entreprises : Luc Chatel pigeonne encore les Français

Pour l'ancien ministre, la fiscalité des plus-values de cession en France est de 60% et représente le record d'Europe. Il faut croire que Luc Chatel a raté l'actualité de deux dernières années.
L'ancien ministre Luc Chatel lors d'une conférence de presse le 21 novembre 2012. (Photo Thomas Samson. AFP)
publié le 7 avril 2015 à 18h03
«Comment voulez vous investir dans les entreprises quand vous avez des plus-values de cession, c’est-à-dire quand vous cédez votre entreprise, qui sont les records d’Europe, c’est-à-dire qui sont à plus de 60%!»

Luc Chatel, mardi sur RFI

INTOX. Hollande a tué l'investissement en France. C'est, en gros, le message que Luc Chatel voulait faire passer sur RFI au sortir du week-end pascal. Et l'ancien ministre de dégainer un joli exemple, ficelé comme un gigot de Pâques, de cette politique mortifère qui étouffe l'entreprise et les entrepreneurs : «Comment voulez-vous investir dans les entreprises quand vous avez des plus-values de cession, c'est-à-dire quand vous cédez votre entreprise, qui sont les records d'Europe, c'est-à-dire qui sont à plus de 60%!»

A partir de 3 minutes environ.

DESINTOX. Chatel et les plus-values de cession, ou le paradigme de la paresse de l'argumentaire en politique. L'ancien ministre sarkozyste a coutume de ressortir cette ritournelle tous les six mois. La dernière fois, c'était en septembre. Il disait alors : «Manuel Valls appartient à un gouvernement qui a fait qu'il y a une taxation des plus-values de cession des entreprises de 60% alors qu'elle est à 30% dans la moyenne des pays de l'UE.» Parce que les propos de Chatel d'avril 2015 sont aussi faux que ceux de septembre 2014, voilà la désintox que nous avions consacrée il y a six mois au responsable de l'UMP…

Le chiffre de 60% que Luc Chatel cite ne vient pas de nulle part… même s’il n’a jamais eu de réalité. A l’automne 2012, l’annonce d’une réforme des plus-values de cession des entreprises avait fait un pataquès. Le chiffre de 60% est alors largement brandi, notamment par le mouvement dit «des pigeons», des patrons courroucés par le projet gouvernemental.

De quoi s’agissait-il ? Jusqu’alors, les plus-values réalisées lors de la vente d’une société ou de parts de société bénéficiaient d’un taux forfaitaire de 19%. En y ajoutant les prélèvements sociaux de 15,5%, on arrivait à une taxation de 34,5%. Quelque mois après son arrivée, la gauche entend mettre fin à cette imposition forfaitaire en soumettant les plus-values au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR). Dans ce schéma, la plus-value peut donc, en théorie, être taxé au-delà des 60%, le taux maximal de l’IR – désormais porté à 45% – s’ajoutant alors aux prélèvements sociaux. Le projet initial prévoyait des abattements (de 5% à 40% en fonction des durées de détention). Mais pas assez pour dégonfler les critiques.

Résultat, le gouvernement a revu sa copie. En deux fois. Le projet de loi de finances (PLF) de 2013 a conservé le régime du taux forfaitaire pour les cessions de 2012 et musclé le système d’abattements (en raccourcissant les durées de détention). Mais c’est surtout le PLF de 2014 qui a considérablement adouci le régime fiscal. A l’issue des assises de l’entreprenariat – voulues par François Hollande début 2013 –, une table ronde dédiée à la fiscalité a accouché d’un régime simplifié et plus généreux : les plus-values restent soumises au barème de l’IR, mais deux dispositifs sont mis en place. Le premier, dit de droit commun, porte l’abattement à 50% dès deux ans de détention et à 65% au-delà de huit ans. Un régime «incitatif» est également créé pour les entreprises de moins de dix ans, les entreprises familiales et les entrepreneurs faisant valoir leurs droits à la retraite, où l’abattement de 50% est accessible dès un an de détention, et l’abattement maximum est porté à 85% (au-delà de huit ans).

Le cas d’une imposition des plus-values supérieure à 60% demeure donc possible… uniquement pour les détentions à visée spéculative de courte durée. Eriger ce pourcentage en vérité générale comme le fait Luc Chatel relève donc de la tromperie. Dans les autres cas, le système d’abattement mis en place revient à une taxation peu ou prou équivalente, voire inférieure, à l’imposition forfaitaire qui prévalait avant 2012… à l’époque où Luc Chatel était ministre. En témoigne ce tableau, publié par l’association France Digitale (regroupant des acteurs de l’économie numérique).

Finalement, les patrons n'ont plus grand-chose à redire à la situation actuelle. Y compris les plus féroces des pigeons. Olivier Mathiot, PDG de Priceminister, et un des animateurs du mouvement des volatiles en colère :«Ce nouveau dispositif est l'aboutissement du travail mené lors des assises de l'entreprenariat début 2013. On souhaitait que la taxation se rapproche de la moyenne européenne, qui était un peu sous les 30%. L'objectif est atteint.»

L’objectif est atteint, donc. Luc Chatel, lui, retarde de deux guerres.