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Libération
Récit

«C’est un ministre ? Je ne sais pas, des Finances ?»

Dans le cadre de l'opération Back to school, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Harlem Désir, était de passage dans son ancien lycée parisien pour parler Europe.
Harlem Désir, à Athènes en février. (Photo AFP)
publié le 13 avril 2015 à 20h00

«Vu qu'il a regardé des tableaux, c'est peut-être le ministre de la Culture?» «C'est un ministre ? Je ne sais pas, des Finances?». Raté. Les élèves du lycée Claude Monet, dans le XIIIe arrondissement de Paris, se perdent en conjectures sur l'identité du costard-cravate qui se balade dans leur cour de récré. Pas de quoi interrompre le match de basket. L'inconnu, escorté par l'état-major de l'établissement en tenue de parade (veston brun et tailleurs austères), c'est Harlem Désir, le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, venu raconter l'Europe aux futurs bacheliers. Dans un établissement qu'il connaît bien pour y avoir étudié, du collège à la terminale, dans les années 70. Le proviseur, étouffant un rire gêné quand le cortège passe devant un «Wesh ma couille» graffé sur une porte, offre un petit tour du propriétaire à l'ex-premier secrétaire du PS. «Monsieur le ministre», urbain, ponctue la visite de hochements de tête nostalgiques.

Au-delà de l'émouvante séquence copains d'avant, Harlem Désir est revenu mettre des étoiles dans les cœurs des lycéens parisiens: «Le projet de l'Europe, c'est celui d'un monde de paix et de liberté.» Le secrétaire d'Etat participe à l'initiative européenne «Back to school», qui renvoie les représentants des Etats membres sur les bancs de leurs anciens bahuts pour promouvoir l'Europe. La France participe pour la première fois à ce projet, pourtant lancé en 2007. Objectif : faire de la pédagogie, un peu de com aussi, afin de réduire le gouffre entre Bruxelles et les Français. Trois classes de terminales, «pas spécialement préparées» selon les professeurs, «briefées» selon les élèves, échangent avec Harlem Désir. Beaucoup d'adolescents prennent des notes, d'autres s'ennuient sec, bras croisés ou regard baissé sur leurs smartphones.

«C’est du vide»

Pourtant, après un prologue retraçant les grandes étapes de la construction européenne, les mains se lèvent spontanément au moment de l'échange. Première question: l'Europe fédérale. Du gâteau pour Désir, qui déroule la «fédération d'Etats-nations» chère à Jacques Delors. Deuxième question: la politique environnementale européenne. Fastoche pour Désir, qui promeut la loi de transition énergétique gouvernementale et souligne le rôle de l'Europe dans la conférence mondiale sur le climat qui se tiendra en décembre à Paris. Le secrétaire d'Etat répond longuement, cause «dumping environnemental»: pas de problème, la salle écoute sagement. A peine quelques têtes deviennent-elles trop lourdes pour tenir seules. L'échange asymétrique se poursuit: quinze secondes de question, dix minutes de réponse. Les élèves ont gardé les questions épineuses pour la fin. On l'interroge sur le FN et l'abstention, il répond agriculture. Une colle sur la politique européenne au Proche-Orient? Il louvoie et évoque le Mali. La sonnerie de 16 heures réveille les derniers rangs.

A la sortie de la rencontre, Harlem Désir trouve ses successeurs au lycée Monet «très affûtés». Les élèves, eux, sont divisés. «Ma grand-mère dit qu'il est démagogue, moi je l'ai trouvé objectif et intéressant», soutient Sarah. «C'est bien qu'il vienne, renchérit Noémie, l'Europe nous paraît naturelle, nous avons tendance à oublier qu'il faut se mobiliser pour elle». Aucun n'était en âge de voter pour les dernières élections. «Ses réponses, c'est du vide, contre-attaque Emma, il brode.» «Rien de concret, embraie Lou, ce n'est que de la langue de bois.» Dans le petit groupe «de gauche», l'oubli de «l'Europe sociale» a fâché. «Ce qui est paradoxal, c'est qu'il donne envie de croire en l'Europe, mais on ne peut pas s'empêcher de trouver ça utopique», achève Martin.

Le professeur de SES, est content de ses élèves : «Ils n'étaient pas là pour faire les idiots utiles. Ils sont capables d'une très grande maturité. Leurs questions montraient que, contrairement à l'idée reçue selon laquelle la jeunesse française serait avachie, les jeunes suivent l'actualité». Y compris la composition du gouvernement ?